Mes amis & moi

Illustration de Guillaume Long.
Avant-hier matin, la poissonnière du marché m’a appris que le meilleur jour pour la sardine est le jour de la Saint-Jean. Puis elle a ajouté : « Mais je ne sais pas quel jour c’est. Vous savez quand c’est, vous, le jour de la Saint-Jean ? ».
Ça m’a fait sourire (et aussi un peu cligner) parce que oui, je sais exactement quand c’est. Le jour de la Saint-Jean c’est le 24 juin. Y’a des trucs comme ça, on n’oublie pas…

 

Depuis quelque temps, je suis dans une réflexion profonde sur l’amitié.
Ce que c’est, à quoi ça sert, d’où ça vient, est-ce que tout le monde a des amis, est-ce que tout le monde peut être un ami. Sait être un ami, une amie.

Mes amis, les relations que je construis avec eux, c’est la richesse de ma vie. Je ne sais pas si ce que je dis est un gros truisme et si n’importe qui en dirait autant, y’a peut-être des gens qui trouvent du sens ailleurs, dans le travail on peut, ou bien dans l’engagement social, militant. Mais moi je sais que ce qui rend ma vie tellement extraordinaire, tellement unique à mes yeux et tellement différente de ce que j’observe autour, c’est mon rapport aux autres.

J’ai des amis. J’ai beaucoup d’amis, et dans ce beaucoup il y a de vrais amis.
J’ai des amis proches, des amis très proches et des amis très très proches. Très très très. J’ai des amis un peu moins proches mais quand même un peu proches, et des amis vraiment moins proches mais qui sont quand même des amis.
J’ai des amies filles et des amis garçons. Je n’ai pas d’ami(e) non binaire pour l’instant parce que ben, c’est comme ça, mais ce n’est qu’une question de rencontre, sûrement ça viendra.
J’ai des amis de toutes les couleurs de peau, de toutes les religions et de tous les âges, du mien, de quinze ans de plus et de quinze ans de moins.
J’ai des amis épistolaires (pas mal), des amis virtuels (pas trop), mais la plupart sont très physiques et je peux les toucher et les serrer dans mes bras.
J’ai des amis de longue date, des amis de très longue date (de très longue date, c’est quand ça remonte à l’époque où tu pouvais dire ton âge avec un seul chiffre) et des amis récents que j’ai rencontrés il y a moins de cinq ans.

La durée de mes amitiés ne dit rien de mon degré de proximité.

J’ai des amis très très proches de très longue date et des amis très très proches de courte date. Parfois l’amitié va très vite et c’est comme une évidence, on sait alors qu’on pourra tout se dire. Avec mon amie Édith par exemple : deux jours sur le Mékong et c’était plié ! Bon j’exagère, je n’ai pas deviné tout de suite l’importance qu’allait prendre Édith dans ma vie et la confiance que je lui donnerais. Mais c’est allé très vite et après quelques échanges seulement, quelques confidences, j’ai su.

 

 

Peut-être qu’en vieillissant on se connaît mieux et on sait mieux reconnaître qui on veut ?
Ou peut-être, m’a-t-on fait remarquer récemment, que je sais particulièrement bien m’entourer, peut-être que j’ai une intuition incroyable pour choisir sans me tromper ceux que je vais aimer ?
Ou peut-être simplement que j’ai de la chance. Avec mes amis j’ai tellement de chance !
Quand je me sens une sous-merde parce que j’ai raté quelque chose ou que je me suis déçue, j’essaye de me rappeler une petite phrase que m’a dite mon pote Fabien il y a longtemps, je crois que c’est sa psy qui lui avait dit ça :

On a les amis qu’on mérite.

Et alors, quand je regarde qui sont mes amis, quand je vois les personnes formidables qu’ils et elles sont, je me dis que ça se peut pas que je sois aussi nulle que je me sens parce que sinon ils ne seraient pas mes amis. Tu comprends la magie du truc ?

De lui, mon pote Fabien qui est né le même jour que moi, mon mari dit :

– Ton pote Fabien, je sais que c’est le mec que t’appelleras si un jour t’as buté quelqu’un, et lui il viendra en vélo dans la nuit avec sa frontale, une bâche et une pelle !

Voilà. C’est mon pote Fabien. Si un jour je bute quelqu’un…
Mais comment est-ce qu’on en arrive là ? Amis, je veux dire. Comment devient-on amis ? C’est quoi être amis ?

 

 
Dis, c’est quoi un(e) ami(e) ?

Tout a débuté par une colère du Marcass’ (8 ans). Marcel est un enfant « tyran » qui demande ÉNORMÉMENT. De temps, d’attention, de câlins, d’amour, de tout. Et c’est pas tous les enfants comme ça. Je sais que c’est pas tous les enfants comme ça parce que j’en ai deux autres avant lui. Le cochon sauvage. De la tyrannie j’ai appris que c’est usant. C’est énervant. Ça donne envie de donner moins. Et le pire du pire pour moi, c’est de me voir en miroir dans lui – j’en ai déjà parlé dans les articles Pourquoi fait-on des enfants ? et Comment fait-on des enfants ?

Quand il rentre de l’école, Marcel commence par réclamer un câlin. Puis un autre, un autre et encore un autre. Quand c’est fini les câlins, il veut son goûter et après son goûter il veut que quelqu’un joue avec lui. Sa grande sœur, son grand frère, moi. Ou mieux : son papa s’il est là. Mais quel parent est dispo pour jouer avec son enfant franchement ?
De temps en temps d’accord tu cèdes, quand tu peux plus faire autrement, mais taper le mille bornes un jeu de sept familles, une partie d’échecs ou de dames chinoises un soir de semaine alors que t’as mille autres choses à faire et surtout pas envie de jouer, qui fait ça ? Le mille bornes non, jamais, oublie, même pas en rêve dans le plus beau de tous tes rêves de marcass’ au milieu de fontaines de chocolat noir, de rivières de miel et de religieuses au café tu me verras jamais jouer avec toi au mille bornes.

Quel est le gros hypocrite de parent qui va oser me raconter qu’il joue avec son enfant dès que son enfant lui réclame de jouer ?

Bref. Je ne joue pas avec le Marcass’. Je le laisse tout seul en galère pendant que j’écris en me bouchant les oreilles pour ne plus l’entendre ou que je cuisine en écoutant très fort un podcast ou que je fais whatever my life mais c’est MA LIFE ! Sinon je te promets qu’avec un enfant comme Marcel, c’est fini ta vie, tu peux lui faire une croix dessus avec les yeux retournés et la bouche ouverte, comme ça regarde 😵, et toi aussi tu crèveras à l’envers bouche ouverte parce qu’il t’aura tout pris et tu flotteras à la surface avec le ventre tout gonflé comme une sardine pressurisée et morte.
Enfin… Pardon. Tout ça pour vous expliquer que la première fois je dis non gentiment à mon enfant. Non je ne joue pas maintenant. La deuxième fois, cinq minutes plus tard, j’ai tendance à avoir le non un peu plus tendu. La troisième fois je m’agace, la quatrième je pète les plombs.
C’est après une de ces quatrièmes fois qu’est venue la phrase qui a tout enclenché. Cette fois comme bien d’autres auparavant, le Marcass’ a répondu à ma colère par sa colère.

– Mais tu veux JAMAIS jouer ! Comment tu peux avoir des amis si tu joues jamais, hein ?

Je suis restée sans voix. J’avais pas vu les choses sous cet angle. Qu’un ami puisse être défini par : quelqu’un avec qui on joue. Et ça m’a secouée parce que je n’avais jamais pensé qu’on puisse avoir des définitions différentes de l’amitié. Ce qui est complètement stupide, je me suis dit en en prenant conscience. Pourquoi à l’amour on pourrait donner toutes sortes de formes, et pas à l’amitié ?
Évidemment que la conception de l’amitié varie en fonction de nos expériences personnelles et de ce qu’on y met ! C’est alors que j’ai eu l’idée d’écouter comment les autres parlent de l’amitié. Et ce qui m’a frappée en premier, c’est à quel point ce qu’on en dit, souvent, se révèle être ce qu’on en attend.

 

 

Le soir même, à table, avec tous les gens qui vivent avec moi (on est cinq), j’ai posé la question : c’est quoi pour toi un ami ? Et le Marcass’ a enfoncé son clou :

– Bah un ami c’est facile, c’est quelqu’un avec qui on joue et on fait des câlins.
(Marcel, 8 ans)

Donc un ami c’est pas un parent. Puisqu’un parent ne joue pas. Tu suis ?

– On est amis quand on passe beaucoup de temps avec quelqu’un.
(Lucien, 10 ans)
– Du temps ? Juste du temps ?
– Oui du temps. Par exemple, toi, Adeline et Marlène, c’est sûr que vous êtes amies !

Bam ! Dans ta face que t’es jamais là (= à la maison) le mercredi matin et le samedi matin parce que tu fais café sardines clandé avec tes cops ! Et encore, l’enfant ne sait pas pour le lundi matin et tous les autres petits moments que t’arrives à gratter dans la semaine…

La Petite Souris a hoché la tête, preuve qu’elle suivait la discussion, et j’ai apprécié parce que maintenant, avec les hormones de la puberté, y’a des fois j’ai l’impression qu’elle a des neurones grillés. De grands déserts intellectuels. Un peu comme quand t’es enceinte tu vois.

– Ouais j’avoue, un ami c’est quelqu’un avec qui tu traînes… En gros tu traînes avec lui, ou avec elle, et même si tu fais rien, tu te sens bien.
(Garance, 13 ans)

Je vous passe les yeux écarquillés de Papa Écureuil qui ont suivi cette réponse d’ado. (Tu « traînes » ?… Comment ça, tu « traînes » ? Tu « traînes » où d’abord ??) Puis Mickaël a lui-même répondu à la question, avec son expérience d’homme qui a vécu :

– Tu deviens ami quand tu partages des galères ensemble. Des faux plans, de la loose…

… Ce qui n’est pas sans rappeler les arguments de mon amie Maud quand elle t’embarque pour un trail dans la boue au mois de décembre (vidéo dans cet article Samedi (noir) soir) :

– Mais si, viens ! Ce sera dur, on aura froid, on sera trempés, mais on sera tous ensemble, ça va être sympa !

Là moi je sais pas pourquoi j’y vais – enfin si, maintenant je sais pourquoi, j’y ai bien réfléchi et je l’ai même mis à nu dans l’article Me dis pas tu ! – mais Fred-ma-cops, elle, tu lui dis froid, trempés, dans la boue, ensemble ou pas ensemble c’est clair elle vient pas !!! Et pourtant elle est amie aussi. Avec Maud je veux dire.

De Fred-ma-cops, je garde ces mots de l’année dernière :

– Venir te voir est un arc-en-ciel dans mon mercredi.

(Mes amies sont des soleils sous un ciel de pluie.)

 

La page pile en face de la date de ce week-end (16-17 avril 2022) dans l’agenda des CM2 du 95 !

 

J’ai fermé les yeux et j’ai laissé venir les mots qui se murmurent quand je pense amitié : confiance, authenticité, chaleur, complicité, sécurité, joie…
C’était bon mais je tournais en rond parce que nous ne mettons pas tous la même chose derrière chacun de ces mots. Pour moi, être ami-ami, amis à la vie à la mort, c’est une relation dans laquelle tu peux te livrer sans pudeur. Où tu parles sans te réécouter avant, où tu donnes ce que tu es sans cacher le moche et le faible. Où tu peux raconter tes rêves secrets, même quand celui de ta copine inclut de découper précautionneusement, et en s’excusant, des steaks du visage de ton mec pour les manger. True story. Pardon Micka 😱

Mais je sais que ce n’est pas universel. Je sais que c’est même hyper rare de pouvoir être, ailleurs que dans sa tête, tel(le) qu’on est vraiment, entièrement, sans honte et sans pudeur.

Ça implique d’oser la confiance absolue.
Ça implique de prendre des risques.
Ça implique de choisir avec un soin infini les personnes qui sauront accueillir notre vulnérabilité comme le cadeau qu’elle est.

 

À ce moment de ma réflexion, il m’a semblé que je devais confronter mon expérience au-delà de mon cercle le plus familier. J’ai senti qu’il était temps de poser la question à Ahmed, mon ami philosophe du marché. Dis Ahmed, c’est quoi un ami ?

– Un ami, c’est celui en qui tu cherches ce que tu n’as pas, ce qui te manque. Mais combien est-on à se demander : et moi cet ami, qu’est-ce que je lui donne ? Qu’est-ce que je fais pour lui ?

Telle a été sa réponse immédiate, à brûle-pourpoint. J’ai dit que pour moi chercher ce qui me manque, ça avait plutôt trait à quelque chose de l’ordre de l’amour. Alors on a palabré, creusé, comparé, donné des exemples précis. Il en est ressorti que l’amitié c’est la base de tout. Ahmed a affirmé que tu ne peux pas aimer d’amour si tu n’es pas d’abord ami(e) avec une personne. Il a dit (et je peux vous le retranscrire tel quel parce que je l’ai enregistré avec la fonction dictaphone de mon téléphone que j’ai découverte grâce à ma cops Marlou) :

– L’amitié c’est la base, le respect, la complicité, l’échange, sinon sur quoi tu veux construire ? Sur rien ! Y’a rien !

 

 

Notre passionnante conversation du samedi matin autour d’un verre de rhum arrangé d’un café a suscité quelques réactions, et une personne qu’Ahmed apprécie particulièrement a apporté sa contribution :

– Un ami c’est quelqu’un pour qui je suis là quand il a besoin de moi.

Or j’avais entendu cette même personne dire, il y a quelques mois, dans un autre contexte :

– Quand on n’a pas d’équilibre, on a un ami.

Le message ne m’était pas adressé mais je l’ai retenu parce qu’il m’a parlé direct au cœur. Je pense qu’effectivement les amis sont ceux qui te rattrapent quand tu perds l’équilibre. Les miens en tout cas, ils font ça. Mes amis ne m’empêchent pas de marcher sur un fil à trois mètres du sol, mais ils sont là quand je tombe. Ils glissent leurs bras autour de ma taille pour m’aider à me relever, autour de mes épaules pour me soutenir et recommencer à marcher.
C’est ce que je fais aussi pour eux. Ensemble c’est ce qu’on fait. Et quand on ne perd pas l’équilibre, on se réjouit d’être debout, on rit, on danse, on mange, on boit, on fait des blagues, on se serre dans les bras. On se dit qu’on s’aime aussi, souvent. De plus en plus avec les années d’ailleurs, je remarque.

C’est ainsi que j’ai senti se dessiner, peu à peu, ma propre définition de l’amitié.

Pour moi, un ami ou une amie c’est quelqu’un qui t’aime quoi que tu fasses. Quelqu’un qui reste avec toi, dans ton équipe, même quand tu vrilles, même quand tu merdes (et qui te le dit).
Un ami c’est quelqu’un qui ne t’abandonne jamais.

 

Les plus belles pages sur l’amitié n’ont-elles pas été écrites par Saint-Exupéry dans la rencontre du petit prince avec le renard ? (Extrait du Petit Prince, pp. 68-69.)

 

Vous ne pouvez pas faire ça chez vous hein, coller la page 70 et la page 72 ! C’est un montage que j’ai fait avec mon ami Olivier qui est LE grand fan de Saint-Exupéry. Chacun avec notre exemplaire du Petit Prince, on a fait ça. (Extrait du Petit Prince, pp. 70-72)

 

(Note perso : Olive, si t’as trop pitié de mon bricolage de naze, tu peux faire un scan et m’envoyer le pdf que tu m’as proposé…)

D’amour ou d’amitié

Après la réponse d’Ahmed – « l’amitié c’est la base » – en regroupant toutes les définitions de l’amitié qui m’ont été données, j’ai été surprise de constater à quel point elles sont proches de ce qu’on pourrait dire de l’amour. Du fil ténu qui sépare une relation amicale d’une relation amoureuse. Alors je vous vois venir, vous allez me dire : oui enfin… y’a ténu et ténu quoi ! Quand bien même il ne resterait qu’une barrière entre les deux, elle s’élève physiquement haute et infranchissable !
Oui d’accord. Je vois bien le physiquement. Néanmoins, je ne m’attendais pas à ce que les deux sentiments soient si proches, si mêlés. Si confus peut-être. Alors que dans ma tête tout est si bien rangé…

Essaye, toi. Reprends les définitions une à une en pensant à la personne qui occupe ton esprit en permanence, celle que tu aimes d’amour, et dis-moi si tu joues pas, si tu fais pas des câlins, si t’as pas envie de passer tout ton temps avec elle, de « traîner » avec elle même si tu fais rien.
Cette personne que tu aimes d’amour, dis-moi si tu ne cherches pas en elle tout ce que tu n’as pas, tout ce qu’il te manque, et si tu ne veux pas être là pour elle quand elle a besoin de toi parce qu’elle est un arc-en-ciel dans tous les jours de ta vie. Alors ?

Ma copine Adeline dit encore :

– Un ami, c’est quelqu’un chez qui tu habites et qui habite en toi. C’est quelqu’un que tu aimes et qui t’aime. Et c’est plus qu’un amour amoureux parce que tu n’as (presque) jamais peur de te montrer.

À méditer…

Sinon il y a Nietzsche qui met en doute l’amitié entre hommes et femmes :

« Des femmes peuvent très bien lier amitié avec un homme ; mais pour la maintenir, il y faut peut-être le concours d’une petite antipathie physique. »

Mais faux ! C’est faux ! On n’est pas obligés de valider sous prétexte que c’est du Nietzsche ! L’amitié n’est pas le pis-aller d’un amour dénué d’attirance physique !
Moi mon pote Arnaud par exemple, je le trouve très beau physiquement, ça ne m’empêche pas de maintenir une relation d’amitié avec lui à travers tellement de dizaines d’années que ça fait flipper de dire combien !

 

Mission envoyée par le MI6. Vraiment ? Et avec un peu d’humour et d’humilité ?

 

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Et pour vous, c’est quoi être amis ? Partagez !