Mais oui, mais oui, l’école (sur la route) est finie !

Photo : Je n’en peux plus ! (Dernier jour d’école à Singapour, juillet 2019).

 

Par Papa Écureuil.

 

Ça y est, déjà ou enfin (c’est selon), nous avons terminé l’école sur la route et je vous dresse un petit bilan de notre expérience de scolarité alternative.

 
Quels lieux ?

Forcément, le plus difficile a été le démarrage : sporadique au Sri Lanka, puis régulier à partir de Bali.

L’absence de salle de classe, au sens premier, c’est-à-dire des bureaux, des affichages, des camarades, une sonnerie, et surtout une maîtresse ou un maître, a été le premier obstacle à dépasser.

Au cours du voyage, nous avons fait la classe assis autour d’une table dans les diverses locations où nous avons vécu mais également dans des restaurants ou des salons d’hôtel, dans des cuisines ou des espaces communs dans des campings, et enfin sur la plage.

Nous avons aussi fait la classe en avion, en train et dans le campervan (plusieurs fois).

Plus rarement, nous avons fait la classe sur un lit, comme on pouvait.
Et enfin, élément crucial quand il fait 35°C. à l’extérieur : avec ou sans la clim ! (Et ça impacte pas mal le bon déroulé de la séance…)

 

École dans le train en Thaïlande. Le moine devant Lu était très intéressé par les enfants et leur travail. Il nous a beaucoup parlé, en thaï bien sûr, et on n’a rien compris, bien sûr, mais on a souri bien poliment !

 

Le voyage nous a appris à nous adapter à notre environnement. Au début, il fallait absolument que les babi soient assis, qu’ils aient suffisamment d’espace, le tout dans une ambiance paisible.

Avec le temps et la nécessité de travailler malgré des conditions difficiles, ils ont su se plier à la situation, de bon gré ou pas : peu d’espace, chaises et tables trop hautes, ou pas de chaises pas de table, musique, gens curieux qui viennent regarder ce qu’ils font tous les trois…

 

Séance de travail dans des conditions parfaites dans la salle à manger d’un camping au sud de la Nouvelle Zélande. Il s’agissait d’un ancien hôpital reconverti en camping.

 

Car ça a été aussi ça, le voyage : les rencontres.

Voyager avec des enfants est difficile par moments (c’est quand qu’on arrive, il fait trop chaud, j’espère qu’on va pas encore manger dans un resto de rue…), mais c’est aussi une incroyable passerelle pour rencontrer les gens, locaux comme voyageurs.

Très souvent (en fait quasiment tout le temps), quand je faisais la classe dans un espace public, une personne s’approchait pour observer ce que nous faisions. Soit elle nous abordait, quand elle parlait anglais ou français, soit elle nous souriait ou nous faisait un signe le pouce en l’air pour signifier son approbation de voir les babi travailler de façon si appliquée.

C’était d’ailleurs très utile pour les faire travailler car quand quelqu’un les observe, ils deviennent généralement beaucoup plus attentifs à leur travail !

Il s’ensuivait souvent une discussion autour de notre long voyage, comment fait-on pour l’école, et en retour notre interlocuteur nous parlait un peu de sa vie à lui. Ça a été, pour ma part, un chouette aspect de l’école en voyage, toutes ces vies et ces témoignages qui m’ont été contés.

 

Dans notre guesthouse à Osaka, au Japon, c’est un étudiant coréen qui est venu observer le cahier de Lu et s’est extasié devant la qualité de son écriture. Il s’avère qu’il avait étudié le français au lycée et pouvait le parler et le lire un petit peu, on a été très impressionnés par son niveau !
 
Quels rythmes ?

Comme pour les lieux, la fréquence de travail s’est adaptée à notre voyage et non l’inverse.
La seule contrainte que l’on a respectée est le nombre de jours de travail entre deux sessions de vacances scolaires, à raison de quatre jours de travail hebdomadaire.

Je suis fier et soulagé de dire que nous avons respecté ce point et que les babi ont travaillé en moyenne quatre jours par semaine pour chaque semaine d’école qu’ils ont manquée.

Comme pour les lieux, nous avons suivi un rythme régulier à partir de Bali car je sentais que autant les babi que moi en avions besoin. Puis, au fur et à mesure de notre voyage, nous avons dû nous adapter aux contraintes du moment : manque d’installations adéquates (aspect que l’on a su maîtriser avec le temps), journée de voyage (voiture, bus, train, bateau, avion), journée d’excursion (visite de sites historiques, temples, parcs naturels, et autres sorties), ou bien aussi manque de motivation, et même, simplement, trop de fatigue.

 

Nous sommes restés quatre jours sur l’île de Tahaa, en Polynésie Française, et il a plu tout le temps. Nous avons donc travaillé tous les jours. Les rideaux en bois ne sont pas là pour nous protéger du soleil mais de la pluie !

 

Étonnamment, le rythme plus chaotique qui s’est installé à cause de tout ça, surtout dans la seconde moitié de notre voyage, nous a finalement bien convenu à tous parce qu’il prenait en compte nos contraintes réelles.

 
Quelle(s) méthode(s) ?

Déjà, je dois dire que faire l’école aux enfants ne m’a jamais paru une évidence et m’a été imposé. Audrey a dit dès le début qu’elle ne s’en occuperait pas, et, si j’ai pensé un temps que nous pourrions nous répartir la charge, j’ai très vite compris que ce serait finalement de ma responsabilité ou de celle de personne. Devant ce dilemme, mon côté raisonnable l’a emporté par forfait contre mon côté revendicatif (mais où se cache-t-il donc ??)

Mais je crois que c’était de toute façon la meilleure chose que l’un de nous deux seulement s’en occupe. Je pense que c’est plus difficile de se répartir la charge de façon coordonnée. Il faut un responsable, et un seul, si on veut bien gérer les choses.

 

Les conditions matérielles étaient réunies, une table et des chaises au calme de notre chambre d’hôtel mais parfois ça ne suffit pas… !

 

Après un mois de tâtonnement où je suivais bêtement les leçons des manuels scolaires que nous avions emportés, j’ai commencé à réfléchir au programme dans sa globalité.

J’ai intégré ce qui me semblaient être les points-clés que les babi devaient savoir maîtriser à la fin du programme, ainsi que la vitesse à laquelle je les voyais assimiler.

Après cette phase d’observation et d’analyse, j’ai pu me rendre compte des forces et faiblesses des babi, de leurs appétences, et j’ai mis en place une dynamique de travail en mixant les matières, les révisions d’acquis précédents et les nouvelles notions.

Je me suis senti un peu comme au travail à gérer un projet et conduire le changement. Il est bon de voir que ce que l’on apprend dans son métier peut finalement nous servir en dehors !

 

Marcel dans notre appartement de Kochi sur l’île de Kyushu, au Japon.
 
In fine, quel bilan ?

Je ne veux pas parler de « bilan d’apprentissage ». Ça nous le verrons bien à la rentrée prochaine, et je suis confiant de ce que les babi ont appris cette année.

Je veux parler de ce que chacun de nous a retiré de cette année scolaire très spéciale : moi en tant qu’instituteur et eux en tant qu’élèves de cet instituteur qui est aussi leur papa.

 

Dans la salle commune de notre guesthouse à Vientiane, au Laos. Malgré la chaleur, nous avions trouvé notre rythme et le travail se passait bien pour tout le monde.

 

De mon côté, je suis fier d’avoir réussi ma mission. En tout cas c’est ma conviction profonde. Je n’ai pas manqué à mon devoir de père qui a retiré ses enfants de l’école auprès de l’inspecteur d’académie : l’instruction est obligatoire et ils l’ont reçue !

Au-delà du sentiment du devoir accompli, j’ai surtout la fierté d’avoir su trouver comment établir un lien différent avec mes enfants afin de me faire accepter en tant qu’instituteur avec tout ce que ça a pu comporter de frictions (tu te comportes comme ça en classe ?) ou de limite de compétences (Papa, ça veut dire quoi « attribut du sujet » ?).

Mais j’ai appris tout au long de cette année à leurs côtés, à être plus patient et plus pédagogue.

Au passage, j’ai aussi compris des choses en grammaire qui m’étaient passées par-dessus la tête durant ma propre scolarité : il n’est jamais trop tard pour apprendre…

 

Dernier jour d’école sur le coin d’une table d’un salon d’hôtel que l’on squatte après le check-out.

 

Du côté des babi, ils n’ont pas l’air traumatisés par l’expérience, et quand je leur demande ce qu’ils ont pensé de leur année, les garçons me disent que « c’était bien », sans trop de précisions. Lucien parce que je lui ai fait faire les additions à dix lignes qu’il me réclamait le dernier jour (et qu’il ne doit plus vraiment se rappeler les autres jours de travail), et Marcel parce qu’il ne se souvient plus très bien de l’école avant le voyage…

Garance m’a dit qu’elle s’est sentie plus libre de poser toutes les questions qu’elle avait eu besoin de poser, contrairement à quand elle est en classe.

Et ces mots de Garance sont une belle conclusion pour cette année d’école sur la route : une année avec plus de liberté.

 

Sur les tables d’accueil de notre hôtel à Hoi An, au Vietnam.

 

 

 Mickaël

 

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Et vous, vous êtes-vous senti(e) plus libre cette année ?