Lis-moi avril 2025

Photo : Mes livres d’avril 2025.

 

Comme les mois précédents, je vous fais partager ici mes découvertes de lecture.
Avec la tasse de mon pote Arnaud dont c’était l’anniversaire au début du mois.

C’est important les ami·es, surtout quand on galère – dans sa vie professionnelle, dans sa vie de couple, ou en tant que mère par exemple. J’dis ça j’dis rien mais, en février, la Petite Souris a eu 16 ans et je vous confiais que ma vie de maman a salement tourné est devenue plus compliquée depuis que mes enfants sont entré·es dans l’adolescence.
Dans deux jours, le Grand Lièvre aura 14 ans.
Dans deux semaines, le Marcass’ aura 12 ans.

12-14-16, on va pas se mentir, c’est la misère.

0-2-4 aussi, c’était chaud, surtout avec le 2 qui était en crise de terrible two prémonitoire de ce qu’allait être son adolescence. Mais ça me paraissait tellement loin à l’époque… Le présent requérait que toute mon imagination soit engagée pour que les dix minutes de trajet retour entre l’école et la maison ne m’en paraissent pas cinquante-huit, et j’avais envie de buter tous les gens qui me disaient : Ha ! Profite ! Tu verras ça passe vite !

🤬

Aujourd’hui il me semble que je ne peux plus du tout être la mère que j’ai été jusqu’à il y a quatre ans, que ça ne fonctionne plus. Les bouleversements propres à cette période normale de développement de l’enfant qu’est l’adolescence font ressortir mes contradictions éducatives, mes paradoxes et mes fragilités.

Régulièrement je me sens une mère de merde avec mes garçons (et c’est très déplaisant).

 

 

C’est dur. Franchement c’est dur. Et je sais que je ne suis pas la seule car j’en parle avec des ami·es qui galèrent aussi. C’est dur, je trouve, de devoir ENCORE se remettre en question, chercher, douter, ne jamais être sûr·e de bien faire, se planter grave, et tout ça évidemment sans la moindre reconnaissance parce que : c’est ce qui est attendu. C’est normal.

Le plus difficile à vivre pour moi, c’est l’impression d’avoir perdu de la compétence parentale. En vrai, de ne plus avoir du tout de compétence parentale.

Un lundi du début du mois où je m’en ouvrais par textos à ma cops Clea entre deux photos de tiramisù au panettone, elle m’a répondu :

« Je ne crois pas qu’il existe un parent d’ado compétent. »

Cette phrase de douze mots a sauvé ma journée, dis-toi.
Merci Clea  ❤️

 

Ça tombait bien parce que, au même moment, le Grand Lièvre qui aura 14 ans dans deux jours répondait à la question qu’il avait lui-même posée à sa grande sœur le jour de son anniversaire (→ Lis-moi février 2025), « c’est quoi le bonheur pour toi ? » :

« Pour moi le bonheur, ce serait jouer aux jeux vidéo et manger de la viande tous les jours. »

Ah ouais… Tous les jours, carrément ! Eh ben disons que le bonheur va pas venir tout de suite hein…

De mon côté, quand j’ai le moral de la couleur des chaussettes de Lulu, je demande à Mickaël de préparer les mochis patate de Clea – qui n’a pas que des bons mots mais aussi des bonnes recettes. Et ses mochis patate sont un banger végétarien !
Une dinguerie qui peut te réconcilier avec ton ado mangeur de viande  😉

 

Les mochis patate de Clea. La photo est sombre, déso, c’était l’hiver dans le fond de son cœur avant le changement d’heure, un samedi soir de décembre dernier…

 

Les mochis patate de Clea, recette ici (avec une plus belle photo) :
www.cleacuisine.fr/plats-japonais/les-mochis-patates/

Le livre

 

→ Louise Chennevière, Pour Britney, P.O.L., 2024

 

Ce livre n’est pas facile à lire. Pas sur le fond, le fond est limpide, mais la forme est heurtée, en particulier dans la ponctuation. Il n’y a quasiment pas de point et la virgule est aléatoire, comme disent mes ados. Décalée, placée systématiquement plus tôt ou plus tard que ne l’exigent les conventions syntaxiques.

Ça donne une lecture qui ressemble à une immense logorrhée mais hachée, en butée sur des virgules qui arrivent çà et là pour reprendre sa respiration avant de, dire quelque chose de difficile. (Ici, la dernière virgule de ma phrase précédente, je l’ai placée comme dans le livre.) Et comme ce qui est dit est difficile, la forme sert vraiment le propos. C’est haché parce que c’est cru, on ne peut pas l’avaler entier, il y a des gros bouts de nerf et ça a du mal à passer parce que la vérité qu’on dit, elle donne envie de vomir.

D’en recracher les morceaux tellement on n’en peut plus de toute cette merde du patriarcat, tellement ça déborde.

 

« … rappelée ainsi à ce fait de mon corps, qu’il ne fallait pas oublier, pas cesser de surveiller sans quoi on ne savait ce qui pouvait vous arriver, n’est-ce pas… » (Double page extraite de « Pour Britney », de Louise Chennevière, pp.40-41)

 

« Les choses ne sont pas du tout faites pour que les jeunes filles puissent prendre, un plaisir sans conséquence, jamais, nulle part… » (Double page extraite de « Pour Britney », de Louise Chennevière, pp.42-43)

 

L’histoire banale, ordinaire, vécue au moins une fois dans sa vie par 99 % des femmes.

Et puis, vivre sous domination de l’hétéropatriarcat, c’est aussi intérioriser ce regard d’autocritique, féroce et qui tue parfois, que l’on pose sur chaque partie de notre corps quand on est une femme. Comme si on était dissociée, comme si notre corps ce n’était pas nous.
Comme si notre corps n’était pas une maison douce et rassurante mais un ennemi, faible, insuffisant, prêt à nous trahir à chaque instant.

 

« … quand elle sort et me dit, ça me dégoûte cette forme parfaite, là, la courbe sous mon t-shirt, car on ne se tire jamais du dégoût de soi quand il nous a été si intimement enseigné, et ses seins qui l’avaient dégoûtée parce qu’ils ne tenaient pas comme il fallait dans les décolletés, ses seins qu’elle avait rêvés exactement comme ils étaient maintenant la dégoûtaient de n’être pas les siens, d’être ceux qu’avait forgés pour elle ce regard anonyme, libidineux et omniprésent sans la reconnaissance duquel une femme n’est rien, car ce que l’on feint d’oublier mais que tout le monde sait c’est que lorsqu’on parle de la beauté celle d’une femme ne sert à rien si elle n’entre pas dans le goût d’un homme… » (pp.64-65)

 

Ce passage du livre dit tellement bien le piège ! La force incroyable et absolument nécessaire qu’il faut déployer pour s’affranchir « d’une apparence jolie », quand on est une femme.

 

« … mais dont la plus grande part de l’énergie avait été perdue, gâchée à cela : comparer ses seins à ceux des autres femmes à l’aune et sous la surveillance de ce regard-là, qui souvent traversait les yeux des garçons que l’on aimait, et ça faisait mal… » (Double page extraite de « Pour Britney », de Louise Chennevière, pp.74-75)

 

À ce propos, de la force incroyable et absolument nécessaire qu’il faut déployer pour essayer de s’affranchir de l’injonction à ce que signifie « d’apparence jolie » pour une femme, mais aussi à propos de seins, voir ou ne pas voir un sein, couvrez ce sein que je ne saurais voir, comparer ses seins, je suis allée voir la semaine dernière une expo présentée par une galerie féministe en résidence à Versailles.

« Marianne(s) », par la Art Girls Gallery.

Ce sont 92 portraits de femmes médiatiques réalisés par la photographe Sylvie Castioni sous le hashtag #JeSuisMarianne, pour réaffirmer les droits fondamentaux de liberté, d’égalité et de justice pour tous et toutes. Par les temps qui courent, hein.

Annelise Stern et Sarah Maurin qui s’occupent de l’expo sont formidables de patience et de générosité. Je suis arrivée quasiment à la fermeture et elles ont quand même pris le temps de tout me montrer et de m’expliquer avec le sourire !
Je vous conseille vraiment d’y aller. L’expo se tient du 17 avril au 4 mai 2025.
Renseignements ici : https://www.artgirls.store/mariannes

 

Portrait de Mathilde par Sylvie Castioni dans l’expo #JeSuisMarianne (avril 2025).

 

J’ai regardé attentivement chacun des 92 portraits de la galerie – avec Annelise et Sarah qui me présentaient chaque photo et racontaient des anecdotes. J’ai prêté attention à ce que je ressentais devant chaque portrait. C’est fou comme, alors que le dispositif artistique est le même pour toutes, la vibration qui se dégage de chaque portrait est différente. Et cette vibration crée une émotion différente aussi chez chaque spectateur·trice en fonction de son histoire personnelle et de là où il·elle en est dans sa vie.
Ainsi, peut-être parce que j’étais justement en train de lire ce livre, Pour Britney, quand j’ai vu la Marianne de Séverine Ferrer (que je ne connais pas du tout), j’ai vu le sourire de Britney.

Et puis il y a Mathilde.

Mathilde par qui j’ai eu connaissance de cette expo. Mathilde qui est, de loin, le portrait le plus puissant des 92 que j’ai vus. Parce qu’il émane d’elle cette force qui résonne en moi, cette force d’émancipation que j’appelle à résonner en moi.
Dans cette photo de Mathilde, je vois la liberté d’être qui on veut, dès lors qu’on parvient à sortir de ce jeu auquel on n’a pas choisi de jouer et dans lequel on ne peut pas gagner.

Ça ne veut pas dire rejeter en bloc tous les attributs traditionnellement associés à la féminité et ne plus jamais se maquiller, ne plus jamais porter de robe, de talons hauts ou de décolleté plongeant, mais ça veut dire être libre de pouvoir le faire en dehors du male gaze.
Le faire pour soi, quand on en a envie, pour jouer, pour expérimenter, pour la joie.

Pour la joie, voilà.

La joie du corps quand on le ressent de l’intérieur. Cette énergie joyeuse qui monte en soi quand on n’a plus peur – peur de n’être pas assez mince, pas assez jolie, pas assez désirée, pas assez aimée. C’est pour ça que dans mon top 3 de ces portraits, il y a aussi Claudia Tabgo et Sophia Antoine (que je ne connaissais pas mais qui m’a fait penser à mon amie Émilie).
Pour la joie.

 

Quand Britney Spears s’est rasé la tête, le 16 février 2007.

 

Et Britney ?

J’ai hésité à relayer ici cette photo volée par des paparazzi, arrachée et reproduite des millions de fois, cette photo qui a été tant commentée dans les médias, qu’on a sous-titrée par Britney pète les plombs. Finalement je la mets pour l’honorer, pour rendre hommage au geste de Britney Spears tellement moi ça me met en colère qu’on fasse passer pour folle une femme après lui avoir fait subir ce qui rendrait dingue n’importe qui. Ça me fout tellement la rage que moi aussi je deviens folle quand je dois parler de situations comme ça, comme à chaque fois que je vois, que j’entends, qu’on fait passer une femme pour folle – ce vieux clou usé de la domination patriarcale.

On est des millions.

L’histoire de Britney Spears est emblématique de la société malade dans laquelle tous et toutes on est emporté·es et qui brise les femmes. De la petite fille blanche et blonde qu’on formate pour être un pur produit commercial, une pompe à fric l’écolière à qui on intime de la jouer sexy mais qui doit surtout rester sage et raconter aux journalistes libidineux qu’elle est vierge et qu’elle attend son prince charmant, et puis après, le jour où la jeune fille décide d’arrêter de faire semblant qu’elle ne comprend pas comment on l’utilise et qu’elle revendique son propre désir, alors là ooops non non non ça c’est mal, très très mal, parce que ce qui fait vendre plusse que tout, c’est l’imagerie de la jeune fille pure et vertueuse, objet sexuel malgré elle, lolita, objet de fantasmes, désirée mais surtout pas désirante sinon, la pute.

Dans ce contexte-là, de constante objectification du corps des femmes, se raser le crâne pour essayer de sortir du jeu n’a rien d’un pétage de plombs. C’est une question de survie – si seulement ça pouvait suffire.
Et je ne dis pas ça parce que je me suis rasé le crâne !  😜

Mes cheveux & moi (1)
Mes cheveux & moi (2)
Mes cheveux & moi (3)

 

« … mais qu’elle ne s’avise pas de chercher du côté de son désir à elle, de devenir un sujet sexuel et qu’après avoir fait bander tous les vieux de la planète, elle rentre se coucher sagement chez elle dans cette chambre de petite fille où elle s’ennuie et rêve au prince charmant… » (Double page extraite de « Pour Britney », de Louise Chennevière, pp.60-61)

 

Allez, tout ça vaut bien un petit Toxic qui me permet ma plus belle transition avec la partie suivante.

With a taste of your lips, I’m on a ride
You’re toxic, I’m slippin’ under
With a taste of a poison paradise
I’m addicted to you
Don’t you know that you’re toxic ?
And I love what you do
Don’t you know that you’re toxic ?

 

Cadeau pour toi Arnaud  🤩

 

Britney Spears, Toxic, album « In the Zone », 2004.

 
La bulle toxique

 

→ Sophie Adriansen et Melle Caroline, Chère maman – Les mères aussi peuvent être toxiques, éd. Glénat, 2025

 

Là je vous parle d’une bédé qui, le jour de mon anniversaire à la fin du mois dernier, m’est recommandée dans un texto avec photo par ma copine Muguette, et qui, le lendemain, m’est offerte en direct de main à main par mon amie Marie sans qu’elles se connaissent entre elles, sans qu’on n’en ait parlé. True story.
Je l’ai lue rapidement du coup. (Du coup, du coup, du coup… je vous ai dit combien d’ados vivent sous mon toit avec leurs tics de langage à la con ?)
Au début de ce mois.

Après ça, on m’a raconté des histoires de mères horribles.

Le genre de mère qui dit en public à son gendre qu’il aurait mieux fait de la choisir elle et sa généreuse poitrine plutôt que sa fille, vu que sa fille est plate comme une limande sole. (Ça me fait penser, est-ce que vous avez déjà vu des crevettes nager ? Je me demande pourquoi on voit jamais de crevettes nager alors qu’elles vivent dans la mer. C’est bizarre quand même.)
Des mères qui méprisent, des mères qui écrasent, des mères tellement méchantes parfois qu’elles cherchent à punir leurs filles jusque dans la maladie et dans la mort. Plus rarement leurs garçons, et ça aussi c’est bizarre comme les crevettes qu’on voit jamais nager dans la mer.

 

« La place d’une mère est auprès de ses enfants. » Et la place d’une femme ? (Planches tirées de « Chère maman », pp.196-197)

 

En lisant cette bédé, je me disais : le problème c’est la frustration. Il se trouve ensuite que, par hasard, j’ai beaucoup travaillé sur la question de la frustration ce mois-ci. La façon dont on gère ou pas la frustration, et pas seulement les enfants mais aussi vous, moi.
Par une drôle de propulsion spatio-temporelle, je suis repassée par la chocolaterie de Québec en juillet 2007. Historiquement et géographiquement, je veux bien reconnaître que c’est loin, mais émotionnellement laisse-moi te dire que c’est la porte à côté… Alors j’ai vu. J’ai vu le sang (sang) sur ma peau, j’ai vu la fureur et les cris. Dans la clarté éblouissante de mon flashback intérieur, j’ai vu le sentiment de rejet derrière ma frustration et j’ai compris pourquoi, à ce moment-là, ça avait été aussi insupportable à vivre. Comme un ouragan qui passait sur moi (Non pardon, j’arrête avec mes chansons c’est relou. Pardon pardon.)

Le choc de revivre cette émotion violente de manière aussi brutale qu’inattendue m’a d’abord pincée fort. Et puis j’ai eu une épiphanie : j’ai compris pourquoi je réagis comme je réagis. De cette façon que je juge(ais) si immature. Pourquoi, aujourd’hui encore, c’est cette cuisante blessure qui arrive avec la frustration chez moi. Le rejet. Le manque d’amour, de soin, d’attention, le manque de temps, et si je manque alors c’est que je n’ai pas assez, et si je n’ai pas assez je n’ai rien, et si je n’ai rien attention je vais t’attaquer.

Mais maintenant, maintenant, je le vois à l’œuvre ce mécanisme, et ça change tout.

Je vois comme j’ai grandi depuis la chocolaterie, et, même si ça fait encore mon cœur s’accélérer, je suis désormais capable de m’occuper de ma douleur sans la laisser me démonter moi et dézinguer les autres et tout ce qu’il y a de beau autour.
Well done.

Avant j’avais honte de cette part tyrannique de moi.
Désormais on ne nous verra plus ensemble (rhâââ c’est plus fort que moi), désormais je m’efforce de lui apporter, à cette part tyrannique de moi, de l’amour, de la douceur et de la compassion parce que j’ai compris que si je lui fais honte, si j’essaye de la cacher et de la faire taire, ça va être pire. Je souffre encore plusse, et si je souffre je fais souffrir.

Je vous propose donc un petit instant amour gloire et beauté douceur et compassion pour la moi tyrannique de mes 29 ans à la chocolaterie de Québec.

 

On lui dit gentiment, vous et moi ? T’inquiète poulette, ça va aller. Il y a du temps pour toi, de l’espace, de l’amour. Plein. Tout va bien aller. (Québec, Canada, juillet 2007)

 

Parce que, pour en revenir à ce roman graphique de mère, quand même, au-delà de la frustration, le problème c’est d’être malheureuse. Le problème c’est de souffrir, le problème c’est d’être jalouse. Alors bien sûr le malheur ne rend pas forcément jaloux·se, ça dépend des gens, mais la jalousie, elle, rend toujours méchant·e. À 100%.

La jalousie est un poison, comme dirait Fred-ma-cops qui est très sage.

(Je vous préviens, dans mon prochain article, on parle des ami·es.)

La bonne nouvelle c’est que, si on ne peut pas se prémunir contre le malheur extérieur, chacun·e de nous possède en revanche le pouvoir de se libérer du poison de la jalousie. Et si Fred-ma-cops a pu le faire à l’âge de 8 ans, on doit pouvoir y arriver nous aussi en tant qu’adultes.
Même si ça demande du temps et des efforts, c’est un projet qui en vaut la peine, me semble-t-il. Éviter d’être méchant·e. Ne pas cracher sur Britney Spears quand tout le monde le fait déjà et que c’est si facile. Devenir une bonne personne.

 

« Ne lui dis pas trop… Elle va finir par le croire… » (Planches tirées de « Chère maman », pp.8-9)

 

*****

 

Et vous, qu’avez-vous lu en avril ?