Petits récits nippons : 1- La rue au Japon

Photo : Dans une rue de Kakunodate (Honshu, Japon, 2 août 2024).
Retenez pour la suite les deux distributeurs automatiques sur la gauche.

 

D’abord MERCI, cher·es abonné·es, pour vos retours chaleureux et votre soutien suite à l’agression verbale (et sexiste) que je vous racontais dans ma dernière newsletter.

Newsletter 139 # 2 février 2025

Ça m’a fait du bien de la partager avec vous et de recevoir vos messages de solidarité.

Certain·es d’entre vous m’ont dit qu’ils et elles avaient retrouvé ma newsletter dans leurs spams. Cela arrive parfois et, dans le cas présent, l’usage d’une insulte dans le titre même de la newsletter a pu amplifier le phénomène.
Néanmoins, les stats auxquelles j’ai accès montrent que cette première newsletter de l’année a été davantage lue que les deux dernières de 2024. C’est cool. Si vous pensez qu’elle pourrait intéresser un·e ami·e ou un·e collègue, transférez-lui et proposez-lui de s’inscrire sur le blog pour recevoir ma newsletter. C’est gratuit c’est cadeau comme quand un inconnu te traite de grosse pute dans la rue et moi ça me motive de savoir que mes mots trouvent en vous un écho.

 

Maintenant, depuis quand ne vous ai-je pas parlé du Japon ? Deux mois déjà ??

Pour répondre par thèmes à vos questions pratiques ou simplement curieuses, j’ai eu l’idée de constituer six petits récits nippons qui, quoique basés sur mon expérience personnelle, font état de ce que vous expérimenterez forcément en tant que touriste au Japon.
Six petits récits nippons, comme mes six pastilles sexe de l’été 2021 mais rien à voir, Monique.

Pour mon premier récit, j’ai choisi la rue parce qu’elle sera votre premier contact avec le Japon.

 

Dans une rue du quartier d’Asakusa, à Tokyo, qui donne sur la Tokyo SkyTree, l’une des plus hautes tours du monde, avec un point culminant à 634 mètres. Inaugurée en 2012, elle est devenue l’une des principales attractions touristiques de la capitale (Honshu, Japon, 21 août 2024). Mais bon, ce que moi je veux vous dire, c’est de bien regarder la rue, l’état de la chaussée, les murs, les lumières, la façon dont sont (bien) garées les autos…
Calme et propreté

Quand je marche dans la rue au Japon – avec, dans la tête, le jingle du Family Mart qui te rend dingo si tu travailles ici – j’observe TOUT autour de moi, les sens en éveil comme en voyage. Vivante.

 

La partie « mémoire des trucs qui servent à rien » de mon cerveau est heureuse de vous offrir ce jingle-souvenir  🤪

 

On ne dérange pas dans la rue.
(Au Japon, si vous devez ne retenir qu’une seule règle, c’est qu’on ne dérange pas, de manière générale.)

J’observe les gens qui marchent, vite mais sans jamais se bousculer, j’observe la circulation, dense mais sans jamais d’accrochage. Ici on ne crie pas, on ne klaxonne pas, on n’insulte pas, on ne traverse pas n’importe où, on ne se gare pas n’importe comment.

Vous vous souvenez de la photo en bas de chez moi que j’ai publiée dans Cinq étonnements à propos du Japon ?
Avec la mention qu’au Japon, ce type de comportement balec-tout-pour-ma-gueule-et-who-cares ?, NE PEUT PAS arriver. Les gens ne se garent pas en mode balec parce que : everybody cares. Toujours ce souci de ne pas risquer d’indisposer les autres. Je pense que pour un·e Japonais·e, l’idée d’être pris·e en flagrant délit de faire quelque chose de répréhensible du point de vue du bien-vivre ensemble est insoutenable.

J’observe les mini-commissariats de quartier, à Tokyo, Sendai, Sapporo, et je me demande : est-ce que tu y es mieux accueilli·e si tu viens déposer une plainte (pour viol, mettons) que quand tu te présentes à un gros poste de police en France ?

 

Voilà, ça c’est un petit commissariat de quartier de Sendai (Honshu, Japon, 21 août 2024). L’auto de police ne dépasse pas de la ligne. Observez bien aussi comment sont habillé·es les passant·es : les couleurs, les formes, les longueurs. Vous en aurez besoin pour la fin de mon article.

 

En même temps, comme je vous le racontais dans mon article Cinq étonnements à propos de Tokyo, la rue ici, même à Tokyo dans les quartiers chauds, c’est tellement propre et tranquille que je m’interroge sur la criminalité au Japon.
Y’a-t-il autant de viols et d’agressions physiques que dans les autres pays ?
Existe-t-il, au Japon, des actes de vandalisme, de destruction, de vols à l’arraché ?

C’est que… je n’arrive pas à imaginer m’y faire traiter de grosse pute comme ça pour rien un dimanche matin. Ok j’arrête de vous parler de cette histoire, mais c’est pour dire. Quand même. Au Japon ça n’arrive-juste-pas. Comme quoi c’est possible, comme quoi ça existe. Comme quoi ça devrait l’être aussi en France, possible, de se retenir d’insulter les femmes qui simplement occupent l’espace dans la rue. Possiblé ? Sí o no ?
Ok j’arrête.

 

Dans une rue perpendiculaire à l’avenue principale de Matsushima (Honshu, Japon, 31 juillet 2024). C’est un endroit où je me serais bien vu courir et terminer mes étirements sur la barrière sans me faire traiter de grosse pute.

 

On ne mange pas, on ne boit pas, on ne fume pas dans la rue.

Ça vous le savez sûrement déjà, c’est ce qui nous apparaît comme une bizarrerie extrême depuis la France. Pas le droit de manger dans la rue ? Pas le droit de boire ? Mais d’où ?? D’où j’aurais pas le droit de boire si j’ai soif ?
Bon, ça c’est moi j’avoue  😖

Dans les rues au Japon, il y a énormément de distributeurs automatiques de boissons, partout, même dans des endroits paumés où leur présence semble vraiment incongrue.

 

Distributeurs en contrebas des temples bouddhistes de Yamadera à Yamagata (Honshu, Japon, 30 juillet 2024).

 

Distributeurs sur le quai devant la baie de Matsushima (Honshu, Japon, 30 juillet 2024).

 

Distributeurs sur la route de Towada (Honshu, Japon, 16 août 2024).

 

Distributeurs dans le quartier d’Ikebukoro à Tokyo (Honshu, Japon, 22 août 2024).

 

Ce qu’on trouve dans les distributeurs automatiques, c’est essentiellement de l’eau (je rappelle que l’été est très chaud au Japon), des sodas, des thés froids, et surtout, des canettes de café sous toutes ses formes. Café chaud, froid, avec ou sans lait, vache ou soja, avec ou sans sucre, vrai ou faux-sucre, décliné en différentes proportions de lait et de sucre, avec plus ou moins d’eau selon la force souhaitée du café, avec une pointe de chocolat, voire de matcha dedans, tout ça proposé par plusieurs marques concurrentes : Wonda (by Asahi), Georgia, Boss…

Comme il est interdit de boire dans la rue, quand on prend une canette au distributeur, soit on la boit directement sur place (devant le distributeur c’est toléré), soit on l’embarque dans son sac pour la boire ailleurs, plus tard. Le même principe s’applique quand on achète une glace, un melon pan ou des yakitori : soit on mange debout juste à côté de l’échoppe où on l’a acheté·e, soit on rentre manger chez soi ou dans son auto (très fréquent).

Manger dans la rue au Japon
(Article à venir. Un jour. Sûrement.)

 

Quand la Petite Souris, 15 ans, crève de chaud à Geibikei et qu’elle a trop trop envie de sa glace préférée du Family (Honshu, Japon, 1er août 2024). Donc là, deux options : soit tu mets ta glace dans ta poche (avec les conséquences que l’on devine), soit tu la manges rapido derrière la ligne blanche. (Merci de noter que je ne cautionne pas le combo claquettes-chaussettes. Je hais les claquettes déjà, de base. Je pense que personne ne devrait porter des claquettes. (Sauf si t’es prof de natation à la piscine communale où les moins de dix ans viennent déposer leurs germes et leurs verrues. Miskine·a.)

 

Les distributeurs automatiques vendent aussi des cigarettes (mais pas d’alcool). Là ce n’est pas la même règle : on ne doit pas fumer devant le distributeur car il existe des lieux prévus pour ça. Des smoking areas. Je vous en parle un peu plus loin.
L’idée globale étant de ne pas salir les espaces publics ni matériellement, ni visuellement.

 

Pas de boisson + pas de nourriture + pas de tabac + pas d’animaux
= une rue sans déchets ET sans poubelles inesthétiques
= une rue toujours propre qui sent bon

 

Ici c’est la rue du marché aux poissons d’Hakodate, une fois que les marchand·es ont remballé leurs étals (Hokkaido, Japon, 4 août 2024).

 

On ne promène pas son chien en laisse dans la rue.

Effectivement. Comme je l’indiquais aussi dans mon article Cinq étonnements à propos du Japon, il existe des micro-pig cafés, des cafés de furets, de hérissons, de tout ce que tu veux en termes d’animaux, mais tu ne croises ni chiens ni chats dans la rue. Vraiment, c’est rare.
Quand ils et elles ont un chien, les Japonais·es le promènent en poussette, landau ou porte-bébé ventral. L’injonction à la propreté dans la rue rend inenvisageable la vue d’un chien qui défèque, même dans le caniveau.

Vous allez me dire, nan mais ça va, on peut ramasser la merde avec un sac à crottes comme le font en France les propriétaires civilisés de chiens. Oui d’accord mais le pipi ? Comment tu fais pour ramasser le pipi de ton chien dans un sac à crottes, hein ?
Donc au Japon, on ne promène pas son chien en laisse dans la rue, voilà c’est tout on va pas en parler pendant 107 ans ! Et ne me demandez pas où les chiens font-ils leurs besoins. No idea. En plusse je n’ai aucune légitimité sur le sujet des animaux ; c’est pourquoi je vais m’arrêter là et plutôt vous parler du tabac.

 

Là on est en plein cœur de Shibuya, le quartier le plus fréquenté de Tokyo (Honshu, Japon, 22 août 2024). Regarde bien l’image et relève le défi de trouver UN déchet par terre, un mégot, une merde de chien, vas-y, go go go !

 

Attendez quand même, un soir pourtant c’est arrivé. Pas un déchet, non, ça ça n’arrive pas, mais un chien heureux de trottiner dans la rue sur ses quatre pattes et pas couché dans un landau. Un soir en sortant pour fumer une clope dans une ruelle*, j’ai vu ce chien trottiner et le maître ramasser le caca de son chien à la lampe torche s’te plaît. Alors qu’il faisait totalement nuit et qu’il n’y avait personne de chez personne autour pour le voir. Voilà, c’est ça le Japon.

 

* Oui je viens de vous dire qu’on n’a pas le droit de fumer dans la rue au Japon, je sais mais… j’avoue que j’ai pris quelques libertés avec cette interdiction. Comme avec celle de boire ma bouteille d’eau dans la rue d’ailleurs. Honte sur moi. Shame on you, Ophélaÿe. Ce soir-là, c’était juste après avoir passé commande dans le tout petit resto de ramen de Kesennuma. J’ai planté mari et enfants à table, demandé à aller fumer, et la patronne du resto m’a ouvert la porte de derrière qui donnait sur une ruelle déserte, porte devant laquelle elle avait installé un minuscule tabouret et à côté un cendrier. En mode clandé. Alors honte sur moi d’accord, n’empêche que c’est grâce à ma désobéissance civile que je peux vous raconter l’histoire du caca de chien et du mec qui ramasse à la lampe torche !

 

I’m a back door (wo)man, beillbê.

Ma version préférée d’une de mes chansons préférées.

 

The Doors, Back Door Man, Live in Hollywood, 1969

Pause clope

Bonjour je viens pour la prévention anti-tabac comment fume-t-on au Japon ?
Et d’abord, qu’est-ce qu’on fume et combien ça coûte ?

Mevius est la principale marque de cigarettes japonaises, à 580 ¥ le paquet (soit 3,70 €).
Moi je fume des Philip Morris depuis à peu près, allez, toute ma vie. On trouve des Philip Morris partout au Japon et c’est 430 ¥ le paquet (soit 2,75 €). Pour les non-fumeurs et les non-fumeuses à qui ces données chiffrées ne parlent pas, multipliez par 4,5 et vous obtenez le prix du même paquet en France (soit 12,50 €).
Ah ouais. Quand même.

J’aime bien les Mevius (à part les menthol, j’aime pas les menthol). Le problème c’est qu’elles sont vendues en paquet souple, et les paquets souples ça fait cool baroudeur·euse… quand tu baroudes pas ! Parce que quand tu baroudes pour de vrai, ça n’a rien de cool de retrouver tes clopes écrasées dans leur paquet souple qui ferme pas parce qu’elles ont été brinquebalées sous l’appareil photo dans ton sac. Rien mais alors vraiment rien de cool, believe me.

Voilà pourquoi, pendant mon mois au Japon, j’ai plutôt acheté le 10 de Philip Morris.

 

J’aime bien les Mevius. Mais le paquet souple c’est sympa en soirée, pas en voyage où il va finir tout éclaté ! Alors le Mevius souple à droite, c’est le paquet vide que je garde pour jeter mes mégots.

 

Le 10 de Philip Morris, ça veut pas dire qu’il y a dix clopes. Ça n’existe plus ça, les paquets de dix (dit la meuf qui a grandi dans les années 90). Paraît que ça incitait les jeunes à fumer…
Le 10 c’est pour 10 mg, la force du tabac. Ou des goudrons ou whatever. C’est pas fort. Bien moins fort que mes Philip Morris marron de toujours. Enfin, de l’époque où on pouvait encore dire : bonjour, un paquet de Philip Morris marron s’il vous plaît. L’époque d’avant que tous les paquets de cigarettes soient recouverts par le même emballage flippant.

Au Japon, il n’y a pas cette loi qui cache la marque et uniformise tous les paquets de cigarettes. Et donc en Philip Morris, il y a 14, 10, et tu pourrais croire que ça s’arrête là, 14 correspondant aux « Philip Morris marron de l’époque », et 10, l’équivalent des Philip Morris « light » – j’insiste bien ici, pour la suite, sur le fait que je n’ai jamais fumé de Philip Morris light. Je ne suis pas une meuf light.
Eh bien au Japon ça ne s’arrête pas là, dis-toi. En dessous le 10, il y a encore 8, 6, 4 et même 1 mg !!! Là j’avoue je ne sais pas ce que tu fumes. Quand tu en es à l’hyper-extra-super-ultra-light. De l’air sous filtre.

Je me souviens que je m’étais fait la même réflexion il y a cinq ans à propos des Mevius.

Sumimasen (été #5)

 

Enfin, à ces différentes catégories d’intensité variable s’ajoutent les cigarettes mentholées. Et là pareil, elles sont déclinées en 4 ou 5 sous-forces.
Tout est décliné au Japon. C’est comme les KitKat. Tu trouves des saveurs à tout.

 

 

Tout ça pour dire qu’il y a sans doute du vrai, finalement, dans l’argument que plus les clopes sont chères moins il y a de gens qui fument, parce qu’au Japon comme en Italie où le tabac n’est pas cher, y’a pas mal de fumeurs et de fumeuses. Sauf qu’en Italie, tout le monde fume n’importe où n’importe quand n’importe comment et tout le monde balance son mégot en mode balec sur les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger sur les pavés de Rome, de Florence ou Venise.

J’aime tellement Rome, je trouve tout tellement merveilleux là-bas, et pourtant il faut le dire : les rues sont dégueulasses. C’est comme ça, je vais pas vous la raconter à l’envers.
En Italie, on a le droit de jeter par terre donc tout le monde le fait, ou tout le monde le fait donc on a le droit – et les milliers de touristes pareil. Contrairement au Japon, il y a des poubelles, mais elles ne sont pas vidées et débordent d’ordures tout autour donc bon. Et c’est pas les carabinieri qui vont te mettre à l’amende vu qu’ils sont les premiers à fumer dehors, adossés au capot de leur véhicule de fonction, et à faire voltiger leur mégot par terre d’une pichenette (quand même, stylé).

De plein de façons, l’Italie c’est un peu l’anti-Japon. Dans les codes sociaux comme dans la manière de parler, le rapport au corps, au plaisir, au travail, aux autres…
C’est fou d’aimer tellement l’Italie et d’avoir été autant éblouie par le Japon.

Un ravissement

 

Et au Japon, s’il est interdit de fumer à l’intérieur ET à l’extérieur, alors où fume-t-on ?
Cruciale est la question.

 

 

Dans les aéroports, les gares, les grands hôtels, dans les centres commerciaux, il y a des salles réservées aux fumeurs et aux fumeuses. Des smoking rooms horribles où ça pue le tabac froid.
Ça j’avoue je peux pas. À chaque fois dans les auberges, les hôtels ou les restaurants, je décline. Non merci, arigatougozaimasu, je vais dehors. Je sais que ça dérange, je vois à la mine crispée de mon interlocuteur ou mon interlocutrice que ça dérange, mais je peux pas fumer enfermée. Alors j’essaye de gêner le moins possible : je sors, je cherche un endroit isolé en retrait de l’entrée de l’hôtel où je serai peu visible et j’ai un paquet vide que je garde exprès dans la poche latérale de mon sac à dos pour mettre mes cendres et jeter mon mégot.

En dehors des hôtels et des centres commerciaux, dans la rue, il y a des smoking areas.
Une smoking area, c’est un coin dédié avec des cendriers, un endroit exigu sur un trottoir à l’écart, où on fume debout parce qu’il n’y a jamais rien pour s’asseoir. Ce n’est pas prévu pour être confortable ; c’est fait pour fumer rapidement, sans prendre trop de plaisir, avant de retourner à ses occupations utiles. Comme une addiction à laquelle tu t’adonnes avec un voile de honte. Tu vas au coin (fumeur). Tu es ostracisé·e.

 

 

J’exagère avec « ostracisé·e », évidemment, mais il y a quand même quelque chose de l’ordre de la réprobation sociale dans ce que j’ai ressenti. Et c’est vraiment lié à ces endroits un peu cachés où on oblige les fumeurs et les fumeuses à se parquer, parce que sinon moi je n’ai ni honte ni culpabilité à fumer. C’est pas comme avec mes tartines.

Nyctalope au Japon

Une fois où j’attendais le train, à Sendai, j’ai rejoint la smoking area en extérieur devant la gare du Shinkansen. Il y avait beaucoup de monde, dans un tout petit espace, on était serré·es et je me suis assise par terre sur un rebord de trottoir pour fumer. J’ai regardé autour de moi les gens, la cigarette aux lèvres, le nez dans leur portable – en partie sans doute pour éviter la gêne du corps trop proche des autres.
Je me suis posé la question : les smoking areas sont-elles des lieux de rencontre au Japon ? Une forme de Tinder par le biais du tabac, dans la mesure où la promiscuité y est plus favorable que dans n’importe quel autre cadre sociétal au Japon ?

(Sauf dans les onsen, la promiscuité.)
(À condition d’être homo.)
(Gros lieu de rencontre, les onsen je me dis. Et nu·es en plusse, comme ça c’est direct. Pour les personnes trans en revanche, je sais pas comment ça se passe. À mon avis, c’est tendu. Peut-être en fin de transition, s’il y a eu hormonothérapie et chirurgie de réassignation sexuelle de sorte que le nouveau corps remplisse les conditions de genre binaires – SOIT l’un, SOIT l’autre. Parce que j’ai comme un gros doute que l’état d’esprit soit ouvert. Point commun avec l’Italie, tiens.)

 

Matérialisation d’un espace où il est autorisé de fumer dans la rue. Globalement à un mètre autour du panneau, ça va. Pas plusse. (Devant la baie de Matsushima, Honshu, Japon, 30 juillet 2024).
 
Style

Laissons les fumeurs et les fumeuses dans leur zone interdite et observons maintenant les passant·es dans la rue. Les passant·es dans la rue c’est un look majoritaire, un « style » japonais qui vient marquer l’œil. Même le mien alors que je suis, vraiment, la personne qui se fout total de la mode, qui n’a AUCUN SENS de la mode. C’est pourquoi je ne me lancerai pas ici dans des considérations hors de ma portée, mais simplement remarquer les grandes tendances. (Déjà, rien que d’écrire cette expression, « les grandes tendances », mes doigts fourmillent du syndrome de l’imposteur…)

Je ne vais pas revenir non plus sur la minceur frappante des Japonais·es. Je vous ai déjà prévenu·es pour que vous soyez préparé·es en arrivant au Japon à cette impression pénible de vous sentir à la fois lourd·es et bruyant·es.

Raconte-moi le Japon…
Cinq étonnements à propos du Japon

 

Hormis les originalités vestimentaires et capillaires des Shibuya et Harajuku girls habillées en cosplay (qu’on ne croise plus dès qu’on quitte Tokyo), les tenues japonaises sont très sages. Des basiques hyper genrés : costume cravate pour les hommes, chemisier et jupe longue, robe longue, ou tailleur pantalon pour les femmes. En France on dirait BCBG.
On rencontre parfois des superpositions de matières, de longueurs, mais ça reste toujours dans les codes de la discrétion et de l’élégance. Col Claudine, manches longues, ou, si les manches sont courtes, gants longs qui recouvrent les bras. Pas d’imprimés, pas de couleurs criardes, pas de marques apparentes (à l’exception notable de The North Face pour tout ce qui est vêtements techniques de rando et de ski).

Ce qui frappe, c’est vraiment la sobriété des formes et des couleurs unies : noir, blanc, beige. Variations de gris. That’s it.
(C’est le moment de vous rappeler la photo du commissariat que j’ai placée plus haut. Vous pouvez scroller pour la retrouver et mieux observer les passant·es. Allez-y, je vous attends.)

 

Chaussons présentés à l’entrée de la petite maison qu’on a louée à Kesennuma (Honshu, Japon, 19 août 2024). Jamais de la vie j’allais enfiler ça ! Les chaussons c’est vraiment une aversion. Je réfléchis à la possibilité d’un article qui s’appellerait : Ce que je n’aime pas au Japon

 

Peut-être connaissez-vous la marque japonaise Comme Des Garçons ?
De nom, j’entends, parce que ça coûte une blinde. C’est une marque de vêtements noirs créée dans les années 70 par la styliste japonaise Rei Kawabuko. Enfin, à la base, les pièces étaient noires, toutes. Noires. Mais comme je fais une recherche pour vous avant de publier mon article, j’apprends qu’avec le succès, la marque a osé diversifier les couleurs. Désormais on trouve en boutique du blanc, et du beige aussi. Houhou audace et folie !

Peut-être serez-vous surpris·e que cette marque japonaise, Comme Des Garçons, porte un nom bien français ? (Outre que je m’interroge sur le sens donné à ce « comme des garçons ». Pourquoi « comme des garçons » ? Comme des garçons, c’est mieux ?)

 

« Le français, c’est grave stylé au Japon. »
La Petite Souris (15 ans), 14 août 2024

 

Eh oui. La réflexion de Garance se base sur ce que l’on a pu observer tout le long de notre road-trip au Japon. Pas un jour sans qu’on voie un tee-shirt, une enseigne, avec des mots en français. À part peut-être à la pointe septentrionale de l’île de Hokkaido (dans la partie Ainu).
Des pulls avec marqué dessus « évanoui ». Ou « je vous en prie ». Parce que pourquoi pas !

Les trois photos qui suivent ont été prises à des endroits différents dans le quartier d’Asakusa à Tokyo (Honshu, Japon, 21 août 2024).

 

 

 

 

Le français est très populaire sur les vêtements, sur les accessoires, mais aussi pour les noms de boutiques, de cafés, de restaurants. Souvent, et c’est ça qui est drôle, la langue est employée de manière aléatoire. Parfois ça donne quelque chose de poétique, parfois moins…

À Hakodate, pendant que je fumais une clope dans la rue comme une thug, j’ai vu passer une Japonaise dont le texte sur le tee-shirt demandait : « Bonjour, tu as bien réveillé ? ».
« Tu as bien réveillé ? » Sérieux ?!!
Ouais le français c’est trop classe.

 

Dans le quartier d’Harajuku à Tokyo (Honshu, Japon, 22 août 2024). Remarquez « Marion » Crêpes. Avec un visuel à carreaux rouges et blancs qui n’est pas sans rappeler les torchons de cuisine et les couvercles de confitures Bonne-Maman. Remarquez la couleur des tenues des Japonaises. Remarquez qu’on est autorisé·e à manger devant l’échoppe… mais pas plus loin dans la rue.

 

Dans le quartier de Shinjuku à Tokyo (Honshu, Japon, 22 août 2024). Voilà. C’est le projet.

 

 

Édit du 12 février 2025

Bon bah finalement, la question tournait tellement dans ma tête que j’ai fait des recherches. À propos de comment ça se passe dans les onsen pour les personnes transgenres. Et la réponse c’est que c’est pas facile… Tu peux toujours y aller à l’arrache en mode balec-super-hero, tu plaques la mini-serviette donnée pour les bains sur ton zobi entrejambes et quoi ? qu’est-ce qu’y a ?? qui a quelque chose à dire maintenant ?
Mais c’est dangereux, meuf. C’est dangereux, frérot. C’est dangereux.
Ce serait méconnaître les violences qui peuvent être générées par la transphobie.

Comme je m’en doutais, l’accès aux onsen masculins ou féminins pour une personne transgenre ne sera pas possible à moins qu’elle ait transitionné jusqu’au bout dans son corps physique de sorte que « ça ne se voit pas ».
Si ce n’est pas le cas, la solution la plus safe semble être de louer un onsen privatif. Mais évidemment c’est plus cher, et surtout, pour l’avoir expérimenté il y a cinq ans lors de notre grand voyage en famille, c’est un tout petit bain, beaucoup moins chouette que les différents types de onsen publics, dont certains sont extérieurs avec une ouverture magnifique sur la nature.

D’après les témoignages que j’ai lus, une autre solution est de trouver un onsen mixte (très rare), voire un onsen LGBTQ+ (encore plus rare). Sachant que, de un, si les onsens mixtes sont ouverts aux femmes et aux hommes, ça ne veut pas dire pour autant qu’ils acceptent les personnes trans ou non binaires ; de deux, les onsens LGBTQ+ sont souvent libertins et plusse si affinités, or ce n’est pas forcément ce que l’on souhaite. Par exemple si toi tu viens aux bains juste pour te laver parce qu’il n’y a pas de douche dans la chambre d’hôtel (fréquent).

Voilà. Il reste du boulot les frérots – et je vous parle même pas de ce qui se profile (et se passe là, dans la vraie vie) depuis la réélection de ce gros bâtard de Trump.

 

 

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À suivre
Petits récits nippons : 2- Les transports au Japon

 

Ce premier récit vous permet-il de vous imaginer flâner dans les rues au Japon ?