Photo : Les figues du figuier de la petite plage cachée du potier de Vathi (Sifnos, août 2023).
T’as pas idée.
Mon trésor du mois. Voilà, je vous ai fait une photo, je pourrais m’arrêter là… mais ce serait mal me connaître ! Je sais que je vous ai déjà parlé des figues de Sifnos dans mon article d’il y a trois ans sur la cuisine grecque : Trógontas stin Elláda.
Mais je ne vous ai pas dit assez. Le goût de la figue.
Parce que mes vacances en Grèce, à part le bleu et le blanc, la mer et le soleil, à part le bêlement des chèvres dans la montagne et l’incroyablement bruyant goutte à goutte de l’eau dans le filtre de la cafetière, à part le sourire de Dimitris, la spanakopita et le mizithra du Tsikali, c’est aussi, et surtout, le goût de la figue.
Le goût de la figue, pas comme celui de la cerise dans ce film d’Abbas Kiarostami que j’avais adoré quand il est sorti en 1997, qui a eu la Palme d’Or à Cannes et que tout le monde autour de moi a trouvé super chiant. C’était l’époque où j’aimais les films chiants plusse que tout. Mais maintenant c’est fini. Maintenant je fais des vacances de pur plaisir physique où le goût de la figue devient celui de la béatitude.
Mon mari, dont la philosophie de vie est empreinte d’une grande sagesse, a dit :
« À Vathi, on a banni tous les verbes d’action de notre vocabulaire. On n’a gardé que les verbes d’état. Être, sembler, demeurer, rester, devenir… Être surtout. Et vivre. Ne rien faire. »
C’est la vérité. Je te jure. Moi. Moi je fais : RIEN.
Zéro charge. On vit en maillot ou en paréo. Mickaël bricole une salade grecque tous les midis* avec les enfants le Marcass’ (10 ans) le plus souvent, ou bien avec la Petite Souris (14 ans). De temps en temps, si elle est in the mood. Tu sais jamais avec les ados.
En ce qui me concerne, je fais couler mon café filtre (bruyamment) le matin et après, c’est à peine si j’apporte de l’eau sur la table. Je regarde la lumière derrière la colline le matin, je regarde la lumière derrière la colline le soir, je (ré)apprends la langueur du temps dans les îles. Le temps des choses. Le vrai temps des choses.
Je fais tellement rien que j’ai atteint ce niveau que je n’imaginais pas possible d’atteindre, ce moment où tu réalises : putain mais j’en fais moins que Lulu !!!
Et en faire moins que Lulu, crois-moi, ça te vient pas comme ça. Il faut le vouloir.
* Quand je dis « tous les midis », on s’entend que c’est une expression. À Sifnos, on déjeune au retour de la plage vers 14h ou 14h30. À l’espagnole. Si tu veux la jouer à la grecque, mise plutôt sur 16h-16h30.
Mais donc. Le goût de la figue.
D’abord je dois vous dire qu’ici le pied des figuiers est entouré d’une mare violette de fruits blets parce que personne ne prend la peine de cueillir les figues quand elles sont mûres alors elles tombent et s’écrasent par terre. C’était pareil les manguiers au Mali. Et à Tahiti.
Rappelez-vous ici : la vie, pas le paradis.
Les figues ou les mangues délaissées qui pourrissent dans l’indifférence la plus totale, ça paraît fou mais finalement c’est comme les pommiers chez nous. Quand le fruit ordinaire de ton quotidien ne te fait plus envie. Tu préfères le fruit défendu que tu n’as pas.
Je me demande si c’est pour tout comme ça. Est-ce que c’est le sens de l’être humain ?
Au début je faisais bien attention, quand je tendais le bras vers les plus hautes branches du figuier, à regarder où je posais les pieds pour éviter les figues éclatées au sol. Mais un jour en sortant de l’eau sur la petite plage cachée du potier, sans faire exprès j’ai marché pieds nus dedans. J’ai senti la chair du fruit craquer lentement sous le poids de mon corps. C’était chaud et moelleux, un plaisir sensuel, voluptueux, parfaitement décadent… Après ça, devine.
Je n’ai plus JAMAIS remis mes tongs.
Mais donc… le goût de la figue !
Depuis trois ans, la figue est vraiment devenue mon plaisir solitaire – ou quasi – car mon mari et son greffon préfèrent la pastèque pleine d’eau, le Grand Lièvre les nectarines à une blinde du Vathi Market, et la Petite Souris se contente de vaguement picorer l’intérieur d’une ou deux figues avant de jeter la peau aux poissons.
Je ne peux pas laisser se perdre ces merveilles de la nature, tu comprends. Je. Ne. Peux. Pas.
Voilà pourquoi depuis trois ans, j’en mange pour cinq.
J’écrase les figues du bas sous mes orteils, je cueille les figues du haut dont la chair s’enfonce sous mes doigts, je les ouvre en deux, je tombe en extase quand le rouge clair vire au rouge foncé et que le jus devient crème près de la base, je les aspire, je les croque, je les dévore. Quand j’ai fini, j’ai la tête qui tourne, je lèche mes doigts et j’y retourne.
Reviens à la photo en tête d’article s’il te plaît. Regarde bien. Regarde les grosses figues qui s’ouvrent en leur base comme des bouches gourmandes et dont le jus sucré coule comme une stalactite de miel… Regarde les plus petites qui ne tombent pas, brunissent et se fripent sur l’arbre. J’ai croqué dedans pour vous montrer (et uniquement pour vous montrer). Le goût d’une figue séchée naturellement au soleil.
C’est de la folie.
Hein ?… Comment ? J’entends pas bien.
Évidemment que je le sais, que la figue est un des fruits les plus sucrés au monde (ajoute banane, cerise, raisin). Tu m’as prise pour une débutante ? Tu crois que tu vas m’apprendre des choses sur ce qui est trop gras ou trop sucré ?
Je sais qu’il ne faut pas en abuser. Qu’une figue, même de calibre moyen, UNE SEULE FIGUE, c’est déjà au moins 50 calories et 12 grammes de sucre. Soit l’équivalent de deux sucres en morceaux. Mais quand je vois ces fruits si mûrs, avec le jus qui a coulé sur la peau violette et qui brille maintenant, doré et cristallisé, comme un rayon de miel au soleil ; quand je vois ces fruits charnus offerts à ma main, ces délices que je peux saisir au gré de mon désir alors que j’en suis privée le reste de l’année, je n’arrive pas à m’arrêter. Je ne veux même pas avouer combien je peux en manger d’affilée. Dis un chiffre un nombre entre 0 et mon âge et multiplie par la moitié… 🙈
Mais quand je rentre, promis j’arrête !
Quand j’aurai tant attrapé
Quand j’aurai tant dévoré
Que je n’aurai plus faim
Plus rien ne me fera mal
Jeanne Cherhal, Plus rien ne me fera mal, mars 2010.
J’ai la même casquette ! Je l’aimais pas mais j’adore ce clip, j’adore cette chanson, alors je peux aimer ma casquette si je pense que c’est la même que celle de Jeanne Cherhal ! 🤩
Pour faire le plein de lumière des Cyclades avant la rentrée, cliquez sur la photo !
Et maintenant, voyons quels trésors cette nouvelle rentrée va nous réserver…
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Et vous, combien de centaines de figues avez-vous mangé cet été quel trésor avez-vous ramassé cet été ?