La couleur de tes murs

Photo : Street art, by Miss.Tic, quartier de La Butte-aux-Cailles, Paris 13e (2013).

 

Bon les gens, on va continuer de déprimer sévère pendant tout l’hiver ?
Nan parce qu’on n’en est qu’aux vacances de la Toussaint là… on n’a même pas encore changé d’heure, dis-toi ! Tu vois le fond du puits ?
Ajoute à ça le couvre-feu gouvernemental qui nous interdit de sortir à la nuit tombée et les horreurs que tu entends à la radio, qui entrent en toi et dont tu voudrais hurler pour te débarrasser, hurler pour les effacer, pour que jamais elles n’aient existé.

Nan il faut faire quelque chose.

Bien sûr il y a la solution de rester dormir chez tes cops avec qui tu voulais passer la soirée pour vivre et oublier (dans ton désir fou et coupable de liberté). Mais Papa Écureuil trouve que ce n’est pas « l’esprit de la loi ». Comme ça m’énerve, je réponds que depuis Montesquieu j’ai pas remarqué qu’il y ait vraiment un esprit des lois, quelque part en politique. Mais il me rappelle mon passé militant et me rétorque avec un sourire dans la voix que quand même je suis de mauvaise foi… Qu’il n’y a pas plus aveugle que, pas plus sourd que.
Jusque-là ça va, j’accepte. J’admets qu’il m’arrive d’être de mauvaise foi quand je suis en colère. Après je le reconnais, je m’excuse. Je dis oui c’est vrai, tu avais raison, pardon.

Ce que je ne supporte pas c’est qu’on m’accuse d’être « irresponsable » ou « anti-citoyenne ». Parce que non, en fait. Irresponsable, anti-citoyen, c’est pas ça.

Alors d’accord, dimanche soir je n’ai pas annulé ma soirée à cause du couvre-feu. J’y suis allée quand même, et, à cause du couvre-feu, j’ai dormi chez mon amie. Et non seulement j’ai dormi chez mon amie mais j’ai dormi AVEC mon amie. Avec encore une autre amie même, à trois dans le même lit, hou hou, et j’ai dormi au milieu pour mieux qu’elles m’entourent, à cause du couvre-feu (là Papa Écureuil dirait que je suis de mauvaise foi parce que même avec le couvre-feu, on aurait pu mettre des matelas).

Mais sinon non, je ne dors pas chez les gens. Je couvre ma bouche quand on me demande de le faire, et je ne sors plus le soir, ni au théâtre, ni au cinéma, ni dans les bars.
Vous non plus de toute façon. Vous non plus vous ne sortez plus, je veux dire. Vous êtes terré(e) chez vous. Le matin vous partez travailler. Le soir vous rentrez, vous mangez une soupe parce qu’il fait gris dehors, vous regardez Netflix, vous allez vous coucher. Voilà. Une vie.

Mais je ne voulais pas vous plomber ! C’est terrible en ce moment, on dirait que c’est moi qui noircis tout alors que c’est la période qui est pourrie et déshumanisée. Obscure. Vague à l’homme.
Moi au contraire, je voulais vous dire : prenez courage, apprenez à regarder au-delà des nuages, entraînez-vous à voir leur silver lining, ça va être long sinon.
Si on ne fait rien pour s’enjailler, là, ici et maintenant, ça va être super long d’arrêter de respirer jusqu’au printemps prochain. Peut-être on va crever tellement ça va être long.

Pomme, Soleil soleil, album « Les failles cachées », 2020.

 

La chanson qui est censée finir sur une note positive mais, tu sais pas pourquoi, quand tu l’écoutes t’as juste envie de mourir. Ça me fait ça avec toutes les chansons de Pomme, et encore plus celles de son premier album, « À peu près », que la Petite Souris adore.

 

Je voulais vous dire : choisissez bien la couleur dont vous peignez vos murs intérieurs.

Et la peinture, ça me parle très concrètement parce que cette semaine j’ai commencé un grand chantier dans la chambre de la Petite Souris qui consiste à : tout vider, lessiver les murs et repeindre (puis tout remettre). Or les travaux, même menus, maintenant je déteste. J’en ai trop fait, ou j’ai passé l’âge, je sais pas, mais je ne veux plus les voir et même pas la peinture !
Pour vous donner une idée de l’état dans lequel je me préparais à démarrer mes vacances sans enfants… En plus de tout le reste qui allait mal, à l’extérieur comme à l’intérieur. De la merde.

Heureusement que des amies sont venues à ma rescousse, comme ça on a parlé tout le temps et ça m’a évité de trop réfléchir à pourquoi c’est devenu une telle angoisse de faire des travaux, pourquoi ça me semble si insurmontable de repeindre toute seule une chambre d’enfant alors que c’est moi qui ai fait toutes les peintures chez nous et pareil dans notre appart’ d’avant.
La meuf qui a un problème – dit le mec parfait avec qui tu vis. Qui lui ne peint pas, non, lui il va acheter la peinture (qui au final se révèle ne pas être de la bonne couleur, donc fais attention), il tire les prises (mais pas les radiateurs, faut pas déconner) et il pose les scotchs préparatoires pour toi pendant que tu dors chez ton amie à cause du couvre-feu (parce qu’il est sympa).

Et la meuf qui a un problème, elle est trop reconnaissante de pouvoir compter sur ses copines, des droitières et même une gauchère – c’est important, pour la peinture aussi il faut de la mixité.

C’est pas qu’elles aiment spécialement peindre hein, mes copines, sinon évidemment elles le feraient chez elles aussi, c’est pas tant qu’elles m’aiment et qu’elles le font par amour pour moi non plus, mais dis-toi qu’une copine qui prendrait n’importe quel prétexte pour laisser ses enfants chez sa mère au moins une journée pendant les vacances scolaires pour venir t’aider est une amie 100% fiable.

Elle va venir, je te jure. Elle va venir t’aider à peindre même si elle a une to-do list de folie, qu’elle a pas dormi de la nuit, qu’elle s’est embrouillée avec son mec, et qu’en plus elle a ses règles alors que ça devait tomber la semaine prochaine, fait chier. Elle vient.
Elles sont venues, et merci, merci les filles ! ♥
En plus elles sont attentionnées et elles te connaissent bien, y’en a qui partent en te rappelant :

– Audrey, prends un cutter demain pour enlever les scotchs.

Arrache pas tout à la sauvage comme une grosse barbare que tu es.
Elles prennent soin, elles sont cool.

 

Comme quoi je vous raconte pas des mythos. J’ai ramassé mon courage et j’ai fait le premier pas alors qu’il était même pas encore tout à fait là.

 

En attendant mes cops (elles prennent soin mais elles ne peuvent pas non plus tout pour moi, il faut bien jouer sa partie tout seul), j’ai choisi de commencer par la musique pour retrouver des couleurs. Pas en concert bien sûr, rapport à ce que tu sais de la loi sans esprit, mais la musique de chez moi, celle que je décide en pleine conscience de mettre entre mes deux oreilles.
J’avais déjà fait une tentative la semaine dernière avec Radio Bemba Sound System. Mais c’était trop tôt, je pense. J’étais pas prête.

Bien choisie, la musique réchauffe le cœur et, si tu acceptes de lâcher trois minutes ton mental, elle possède ce pouvoir extraordinaire d’insuffler l’élan vital à ton corps. Les trois minutes où tu lâches, elle peut te permettre d’éprouver, ne serait-ce que pour un instant, simplement ici et maintenant, pile dans le moment que tu vis : joie, légèreté, lumière.
Trois minutes. ET CE, MÊME SI TON CERVEAU VEUT RESTER AU FOND DU PUITS. Même s’il a décidé que lui c’est bon, jusqu’à nouvel ordre, et il faudrait vraiment que ça vaille la peine cocotte parce que lui, il ne va plus bouger. Vas-y toute seule.

 

À la perspective de passer quatre jours pleins dans la chambre de Garance – ben ouais, faut préparer les murs avant la sous-couche et les deux couches de peinture, qu’est-ce que tu crois ? – je me suis dit :

 Ok, maintenant j’ai le choix. Soit j’écoute les disques de la Petite Souris, et entre Pomme et Angèle la mélancolie va vraiment être ma reine ce soir, soit je descends l’ordi dans la chambre d’à côté et je me fais une sélection musicale de l’espoir.

 Et devine quoi ? J’ai choisi la deuxième option. En couleur. Parce que la pluie, le noir et tout, ce n’est pas ce que je veux pour moi.

Ce qu’on éprouve naît de ce qu’on laisse entrer en soi.

Si tu peins en gris ou en noir, et en ce moment c’est surtout ça qui nous vient du dehors, tu vas en avoir plein les yeux, tu ne verras plus que ça.
À l’inverse, si tu peins en blanc, tu sais que les murs sont neutres : les couleurs que tu projettes dessus ne dépendent que du pot que tu choisis d’ouvrir chaque matin. Et tu es libre de décider de ce que tu veux voir. Les idées, tes pensées, comme la musique.
Alors vas-y, sors-toi les doigts, tapote-les sur un clavier va chercher ce que tu crois.

Depeche Mode, Just can’t get enough, album « Speak and spell », 1981.

 

Et voilà un revival tout droit sorti du premier album de Depeche Mode pour vous remettre la pêche, les gens ! Presque en direct de la nouvelle chambre de la Petite Souris, mon cutter à la main pour décoller les scotchs du plafond sans arracher la peinture toute fraîche…  ;-).
Et non seulement ça remet ton corps en mouvement, mais en plus c’est grave dans l’air du temps. Parce que je ne sais pas si vous avez remarqué avant que tout le monde ne sorte masqué, mais il y a un sacré retour aux années 80 en ce moment. Les manches chauve-souris, les jeans clairs ou délavés, trop courts en bas mais trop larges en haut, la taille trop haute, et j’en passe…

Même Aloïse Sauvage dont je vous ai parlé avec enthousiasme ici et encore plusse là a repris Voyage Voyage de Desireless ! Bon. Il fallait pas hein. Non. Faut pas faire des trucs comme ça.

Depeche Mode, c’est vraiment le meilleur qu’on puisse garder de ces années-là. Avec les Cure bien sûr. Je suis retombée par hasard sur cette chanson, Just can’t get enough, parce qu’elle est la B.O. d’un documentaire australien sur le sucre que j’ai vu récemment et qui s’appelle Sugarland (très bien). Sur la base d’une expérience personnelle que le documentariste s’inflige, le film montre que le sucre, comme vous le savez, c’est le mal. Ça rend accro, et après c’est comme toutes les drogues, on n’en a jamais assez. Just can’t get enough.

Mais j’ai redécouvert là, juste là hier, que cette chanson de Depeche Mode, Just can’t get enough, est une chanson d’amour. Quand je suis avec toi, tout ce que tu me fais, tout ce que tu dis, quand on marche ensemble, quand je pense à toi, je n’en ai jamais assez. Comme un arc-en-ciel sous la pluie, quand tu me rends libre, quand tu m’aimes, je n’en ai jamais assez. C’est vrai, non ?
On peut arrêter le sucre (moi je peux), on peut arrêter la cigarette (j’en connais plein), mais la beuh l’amour ?

 

Et sinon…
Dites-moi franchement : c’est moi qui ai tellement vieilli ou le chanteur de Depeche Mode on dirait qu’il a quatorze ans maintenant ?!

 

Street art, by Miss.Tic. C’est la vie, ça va passer.

 

Allez ça va aller éé, vous chanterait Aloïse Sauvage (quand elle ne reprend pas Desireless).

Et cette tristesse
Qui traîne, espèce
De petite peste
Laisse-moi espérer
Que ça va aller éé
Que ça va aller, éé
Que ça va aller éé
Que ça va aller, éé

(Aloïse Sauvage, Et cette tristesse)

 

*****

 

Et vous, quelle couleur pour vos murs intérieurs ?

 

 

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