Photo : Mes livres de décembre 2025.
J’ai oublié de faire figurer sur la photo d’en-tête, Fantômette et la maison hantée, que j’ai eu envie de relire ce mois-ci à cause du cambriolage au musée du Louvre en octobre dernier. Puisqu’il paraîtrait que les malfrats (les malfrats, j’adore !) se soient inspirés du roman de Georges Chaulet. Plus précisément du tome 29 de la série des Fantômette (Appelez Fantômette), mais celui-ci je ne l’ai pas chez moi.
Une énième nuit d’insomnie, j’ai donc attrapé le vieux Fantômette et la maison hantée (1971) – qui, pour une mystérieuse raison, a échappé aux multiples désherbages de ma bibliothèque – imaginant me replonger avec délice dans les aventures de mon héroïne préférée.
Aaargh ! Déception et consternation !
Ça a tellement vieilli, ma parole c’est tellement niais !
En dépit de ma nostalgie des histoires d’enfants où les portables n’existaient pas, où les héros et héroïnes de romans jeunesse vivaient apparemment seul·es et sans parents, libres, je suis heureuse que soit révolue cette époque où ça ne choquait personne de lire :
– Et toi, Boulotte ?
La grosse gourmande retira de sa bouche la pomme qu’elle était en train de croquer et dit en frissonnant : « Même pour une tarte aux framboises, je ne retournerais pas là-bas ! » (p.85)
Et dire que j’ai grandi avec ça… nan mais allô quoi ! 😱
Heureusement le monde et la littérature jeunesse ont changé. Je trouve qu’on avance vers du mieux. Vers une conscientisation de la grossophobie, du sexisme, de l’homophobie, du racisme – et l’invention d’un système ingénieux avec une languette pour attraper les Prince par le bas sans défoncer tout le paquet depuis le haut.

Le livre
→ Cécile Cée, Ce que Cécile sait, éd. Marabout, 2024
J’ai eu connaissance de ce livre par une recommandation de Zina Mebkhout, dans la newsletter « Le Grain » de Louise Morel, en date du 25 mars 2025.
→ https://newsletter.louisemorel.net/p/zina-mebkhout-livre-manger-sans-culpabiliser
(J’ai une page que j’ai appelée « Recos » dans les notes de mon téléphone, sur laquelle je recense tous les livres, films, podcasts dont j’entends parler et qui me semblent intéressants. Ensuite, bah ils attendent leur tour, plus ou moins longtemps, remontant de quelques lignes sur la liste au gré de nouvelles occurrences dans des discussions entre ami·es ou d’autres interférences de lectures.)
Contrairement à ce qu’en dit Zina Mebkhout, je n’ai pas trouvé que Ce que Cécile sait était « agréable à lire », pas du tout. Au contraire, comme pour Triste Tigre, de Neige Sinno, l’année dernière – que j’avais sélectionné pour le grand palmarès de mes livres préférés de l’année – ça a été éprouvant pour moi d’arriver au bout.
→ Relire Les livres de mon année 2024
« J’avais vraiment l’impression d’être venue les mains vides et de repartir avec un fardeau très lourd à porter… » (p.45)

Le livre de Cécile Cée m’a minée ; non que j’y pense de manière consciente la journée, mais plutôt comme un filtre sale qui a barbouillé mes heures. Bousillé mes nuits en réveillant chez moi de l’anxiété et des mécanismes de défense délétères – déjà que.
Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas : je pense qu’il faut lire ce livre.
Il faut lire ce journal de sortie de l’aveuglement qui raconte la minimisation du viol, la normalisation de l’inceste, dans une famille française ordinaire. Je pense que ce type de témoignage est nécessaire pour comprendre (et vraiment intégrer) de quelle façon le viol sur des enfants est partout, systémique, et protégé par :
1/. Le silence ;
2/. La complaisance qui entoure les agresseurs.
Mais moi, à titre personnel, j’en peux up.
Ces dix dernières années, j’ai beaucoup beaucoup lu sur le viol et les violences sexuelles, beaucoup écouté, beaucoup vu, et ça m’a aidée à comprendre et à conscientiser beaucoup de choses, vraiment. Mais aujourd’hui je me rends compte que physiquement je n’en peux plus : continuer de m’informer sur ce sujet m’empêche de dormir, me file la nausée.
« Le rapport de la Ciivise montre que l’inceste est un très gros facteur de risque suicidaire et demande un dépistage systématique pour les hospitalisations d’enfants ou d’adolescent·es suicidaires. » (p.129)


J’ai terminé le livre comme je termine l’année : rincée, ma réserve de joie épuisée, avec comme un goût de terre dans la bouche. Et je sens que j’ai besoin de lire autre chose comme j’ai besoin d’air. Sauvage, de Julia Kerninon, dont je vous parlais le mois dernier m’a montré la voie.
Il y aura toujours des nouvelles atrocités commises, des nouveaux récits de violences, des nouveaux essais sociologiques, philosophiques, qui tentent d’éclairer ce qui rend possible la culture du viol dans un système de domination. Mais là où j’en suis rendue maintenant, ce ne sont finalement pas les mots qui vont m’aider à guérir.
Parce que je sais.
Je sais tout ça. Tout ce que je lis, je le sais déjà.
« Peut-être que c’est toi, l’une de ces victimes et que tu l’as oublié. » (p.49)
C’est pourquoi j’ai décidé, après Ce que Cécile sait, de prendre de la distance avec le sujet.

La bulle militante
→ Marta Breen et Jenny Jordahl, Histoire(s) de femmes – 150 ans de lutte pour leur liberté et leurs droits, éd. Larousse, 2019
→ Marta Breen et Jenny Jordahl, La chute du patriarcat – Histoire(s) du sexisme et des femmes qui y ont résisté, éd. Larousse, 2022
→ Élise Thiébaut et Elléa Bird, Vierges – La folle histoire de la virginité, éd. Le Lombard, 2024
Tout est parti de la bédé que le parrain (civil, laïc) de la Petite Souris lui a offert il y a quelques mois : La chute du patriarcat – Histoire(s) du sexisme et des femmes qui y ont résisté, de Marta Breen et Jenny Jordahl. Après j’ai lu les autres.
Merci Michel. (C’est son vrai prénom, Michel, c’est pour ça je me permets de dire merci Michel.)
D’ailleurs, belle synchronicité, c’est aujourd’hui l’anniversaire de Michel. Si si, premier degré. Bon anniversaire Michel ! Et merci d’appeler à l’émancipation et au non-mariage mon enfant devenue ultra catho.

Les deux bandes dessinées documentaires de Marta Breen et Jenny Jordahl sont une façon ludique et accessible d’apprendre l’histoire des femmes et du féminisme. Par « accessible » j’entends qu’on n’est pas dans un gros pavé austère de Bourdieu. (Respect à lui mais bon, les ados d’aujourd’hui ne lisent plus, encore moins des gros pavés bien denses sans interlignes, donc faut bien trouver des solutions adaptées à notre époque = plusse d’image, moins de texte.)
On donne la part belle à l’illustration et ça ne veut pas dire qu’on n’apprend rien.
J’ai été déconcertée – mortifiée serait plus exact, moi qui me pense féministe – du nombre de pionnières du féminisme dont j’ignorais jusqu’ici l’existence.
Je ne connaissais pas Lucretia Mott (1793-1880) et Elizabeth Cady Stanton (1815-1902), deux Américaines qui ont rédigé en 1848 la première Déclaration sur l’Égalité des sexes, en prenant modèle sur la Déclaration d’Indépendance américaine de 1776.
Je ne connaissais pas Harriet Tubman (1822-1913) et Sojourner Truth (1797-1883), deux anciennes esclaves noires américaines qui firent beaucoup pour la cause féministe et que chacun·e de nous devrait connaître (et ne jamais oublier, voilà pourquoi j’écris leurs noms ici, pour moi).
« Si les hommes de couleur obtiennent des droits, mais pas les femmes… les hommes seront nos maîtres… et ce sera comme avant. » (p.21)
Sojourner Truth (dans un discours qui préfigure les luttes intersectionnelles !)

Je connaissais Olympe de Gouges (1748-1793) mais pas sa contemporaine anglaise Mary Wollstonecraft (1759-1797) – une femme incroyable et mère de Mary Shelley, l’autrice de Frankenstein – ni les suffragettes qui leur ont emboîté le pas, Millicent Fawcett (1847-1929), Emmeline Pankhurst (1858-1928), Emily Davison (1872-1913), pour ne citer qu’elles.
Ces femmes qui ont commis des centaines d’attentats à la bombe, incendié des bâtiments (vides), mené des grèves de la faim, supporté l’opprobre et les menaces de mort, survécu à la prison et aux passages à tabac par la police, ont bataillé jusqu’à obtenir le droit de vote des femmes, en 1928 pour le Royaume-Uni.
En 1928, soit 31 ans après la première Ligue pour le droit de vote des femmes en Angleterre, fondée par Millicent Fawcett en 1897.
Soit 137 putain d’années après la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne, rédigée par Olympe de Gouges en 1791. Olympe de Gouges qui fut bien sûr guillotinée pour s’être opposée aux grands chefs de la Révolution Française, Robespierre et toute la clique.
En France, il faudra attendre 1944 pour que les femmes obtiennent le droit de vote.
Euh… et la Suisse, on en parle ??
Vous le saviez, vous, que les femmes suisses n’ont le droit de voter pour autre chose que fondue ou rösti que depuis 1971 ? 1971 !!!

J’ai découvert aussi le combat de la poétesse iranienne Fatemeh Baraghâni ( ~1814/1817-1852), qui, la première, a osé retirer son voile en public et a été pour ce geste condamnée à mort, étouffée avec son voile et jetée dans un puits. Sympa.
Pour chaque période, les autrices replacent ces grandes figures du féminisme dans leur contexte historique et les mouvements sociaux. C’est jamais chiant, jamais pédant, et si vous avez aimé les Culottées de Pénélope Bagieu, ces deux albums norvégiens sont pour vous !
« Ceux qui ne bougent pas ne remarquent pas leurs chaînes. »
Rosa Luxemburg citée par Marta Breen et Jenny Jordahl
Là encore, je connaissais Rosa Luxemburg (1871-1919) mais pas Clara Zetkin (1857-1933).

Je connais mieux (mais mieux que rien c’est pas assez) les féministes françaises de la deuxième moitié du XXe siècle : Simone de Beauvoir évidemment, Gisèle Halimi, Monique Wittig, Françoise d’Eaubonne, Delphine Seyrig, Benoîte Groult, ces femmes courageuses à qui on doit aujourd’hui de bénéficier de droits qui nous semblent tellement évidents.
La lecture de ces deux bédés a mis en lumière mes lacunes. J’ai réalisé que ma conscience féministe éveillée était finalement très récente – depuis dix ans, quinze ans max ? – et surtout, que je m’étais forgée une culture féministe en autodidacte. Donc pleine de lacunes.
Et les questions me sont venues en rafales, comme si une digue sautait devant la tempête :
Pourquoi l’Éducation Nationale n’impose-t-elle pas qu’on étudie Le Deuxième Sexe au lycée ? (au lieu de se taper Les Confessions de ce gros connard de Rousseau)
Pourquoi ne parle-t-on pas davantage de Simone Veil en cours d’histoire ?
Aucun·e de mes enfants (12, 14 et 16 ans) ne sait qui elle est.
Mon ado de 14 ans (celui qui est bien relou en ce moment), découvre Douze hommes en colère en classe de troisième. C’est super. Mais pourquoi ne met-on pas aussi au programme la plaidoirie de Bobigny de Gisèle Halimi ?
Pourquoi n’y a-t-il pas transmission, au moins de mère en fille, de ces lectures et de ces actes qui témoignent des luttes des femmes pour nos droits et notre liberté ?
Même si ça bouge, bien sûr. Les choses bougent.
La génération de ma fille me paraît mieux armée politiquement, plusse solidaire que nous ne l’étions, nous. Plusse consciente de ce qui se joue, et donc plusse libre.

Le mot de la fin sur une troisième bédé que j’ai lue ce mois-ci : Vierges – La folle histoire de la virginité, d’Élise Thiébaut et Elléa Bird, éd. Le Lombard, 2024.
Une lecture indispensable pour celles et ceux qui croient encore qu’un hymen intact est la marque de garantie de la virginité d’une femme, comme le ploc quand tu ouvres un petit pot du commerce ! Je ne crâne pas trop parce que, en ce qui me concerne, je l’ai appris seulement au début de l’année dans Je jouis comme je suis, dont je vous parlais en mars dernier.
Et puis encore après dans Je me regarderai dans les yeux, de Rim Battal, en juillet.
→ Lis-moi mars 2025
→ Lis-moi juillet 2025
C’est pas dingo, qu’on ignore encore ces choses-là en 2025 franchement ?
Pourquoi on n’informe pas davantage sur le sujet ?
Pourquoi on ne l’explique pas aux adolescentes ?
(au lieu qu’elles acceptent n’importe quelle sodomie dans l’illusion de préserver leur hymen pour l’honneur de leur famille ou de leur religion ou je ne sais quelle autre folie)

« Le lien entre pénétration et « rupture » de l’hymen est à peu près aussi sûr que le lien entre le rap et la râpe à fromage, en dépit d’une homonymie prometteuse au départ. » (p.29)
J’apprécie l’humour et la culture d’Élise Thiébaut, autrice et journaliste féministe que je lis par ailleurs sur Substack et que j’écoute en podcast (je vous en parle la semaine prochaine).
Ses articles sont le fruit d’un travail de recherches exigeant pour lequel j’ai une grande estime.
Sa bédé est, comme les deux premières dont je vous ai parlé, très facile à lire, pas « plombante » du tout, ce qui en fait un triptyque de cadeaux de Noël idéal pour les ados que vous côtoyez.
De mon côté, j’avoue que l’idée que Jeanne dite-la-pucelle était peut-être – sans doute – une personne trans m’a particulièrement séduite. Dans ta gueule, le RN !
« Il y a juste une petite condition. Il faut jurer devant douze anciens de son village de rester vierge jusqu’à sa mort. » (p.88)
Euh… pardon mais c’est quoi cette « condition » s’te plaît ?
Quel rapport, Jean-Mi ??


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Et vous, qu’avez-vous lu en décembre ?





