Médiocratie #mercredi 8

Dessin : « Et même si on n’en revient jamais vivant, il faut marcher droit devant ».
Street art dans les rues de Kaboul, Afghanistan, par Shamsia (Ommolbahni Hassani), 2020.

 

Mercredi 8 juin 2022

Sinon c’est pas d’main la veille

 

Et aujourd’hui c’est mercredi. C’est le jour des enfants. Comme si, quand t’es une maman, c’est pas TOUS LES JOURS le jour des enfants ! Je vous propose une chanson pour leur apprendre à marcher droit devant. Aux dits-enfants. Une chanson peut-être un peu moins politique que les précédentes, mais pas forcément. Ça dépend si tu considères que ta vie est intimement liée au politique. Que tes enfants tu ne les élèves pas en dehors du monde. Même que t’es bien en peine, souvent, de leur raconter comment il marche, le monde, sans les écœurer complètement.
Le Grand Lièvre (11 ans) par exemple, qui aime jouer au foot avec ses copains et à qui je dédie cette chanson qu’il aime aussi, Droit devant.

Va expliquer à tes enfants pourquoi on fait bien attention, à la maison, de recycler, de trier les déchets, d’en produire le moins possible, pendant que le Qatar (d’une superficie inférieure à celle de l’Île-de-France, pour info, deux fois plus petit que la Bretagne) construit huit immenses stades de plein air climatisés pour accueillir une putain de Coupe du Monde de foot. Tu leur dis, là, à tes enfants, que des milliers de travailleurs étrangers sont morts dans la construction de ces stades qui réfrigèrent l’atmosphère ? Ah non, tu leur dis pas parce que tu ne veux pas le croire. Parce que ça ce sont des choses qui arrivaient du temps de la construction des pyramides d’Égypte. Mais pas au XXIe siècle. Quand même. On n’est pas des barbares.

Maintenant va justifier que M’Bappé signe un contrat de 600 millions d’euros sur trois ans pendant qu’il y a encore plein de gens qui crèvent du sida en Afrique alors qu’il existe des traitements mais que l’État n’en fait pas une priorité parce que bon ça coûte cher.

– Mais maman, ça fait quoi 600 millions d’euros ?

– Ah je sais pas ! Je sais vraiment pas. Je l’imagine même pas… Mais sûrement que M’Bappé, c’est tout à fait en rapport avec le job qu’il fournit. Son salaire est à la hauteur de sa peine comme la sueur l’est à celle du travailleur migrant sur un stade qatari. Allez, ça suffit les questions, va faire tes divisions ! Travaille bien à l’école comme le petit Kylian, comme ça toi aussi tu trouveras un boulot qui te paye de manière juste.

 

Pour Lulu.

 

Les Cowboys Fringants, Droit devant, album « L’Expédition », 2008.

 

Droit devant

 

Prépare-toi, petit garçon
Elle s’ra longue l’expédition
Et même si on n’en revient jamais vivant
Il faut marcher droit devant !

Quand il était haut comme trois pommes
Et qu’il n’était qu’un tout petit bonhomme
On le poussa hors du berceau
Lui mettant un baluchon sur le dos
Le bagage vide d’expérience
Il posera le pied dans son existence
On n’est pas sitôt arrivé
Que l’on doit faire face à sa destinée

D’abord il faut franchir ce fleuve
Qui est l’enfance de toutes les épreuves
Là où même sa propre famille
Risque de le couler par la torpille
Déjà on saura si sa coque
Et son bateau traverseront les époques
Ou bien s’il ramera à la dure
Dans une chaloupe remplie de fissures

Prépare-toi, petit garçon
Elle s’ra longue l’expédition
Et même si on n’en revient jamais vivant
Il faut marcher droit devant !

Puis vient ce passage obligé
Dans cette forêt parfois agitée
Là où en plus d’chercher sa voie
On est souvent perdu au fond de soi
C’est en sortant de cette allée
Qu’il pourra prendre les routes pavées
Ou se contenter d’une avenue
Précaire en dehors des sentiers battus

Prépare-toi, petit garçon
Elle s’ra longue l’expédition
Et même si on n’en revient jamais vivant
Il faut marcher droit devant !

Enfin vient la montagne hostile
Et son ascension aux mille périls
Où les victoires sont triomphales
Mais où les chutes sont souvent brutales
Seuls quelques-uns se hissent en haut
Et réussissent à planter leur drapeau
La plupart stoppe à mi-trajet
Et se résigne bien à court du sommet

Prépare-toi, petit garçon
Elle s’ra longue l’expédition
Et même si on n’en revient jamais vivant
Il faut marcher droit devant !

Quand viendra l’âge du bilan
L’important sera que tu sois content
Car on fait c’qu’on peut dans la vie
Tout dépend de ce qu’on a comme outils
On voudrait tous être aux commandes
Mais l’offre est plus petite que la demande
Que l’on soit minus ou géant
Il faut être fort pour traverser le temps.

Bonne chance…

 

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