Lis-moi novembre 2025

Photo : Mes livres de novembre 2025.

 

Il y a dix jours, j’ai participé à un atelier d’écriture pour la première fois de ma vie. Pourtant j’écris depuis toujours, j’écris depuis que je sais écrire, mais c’était la première fois que je le faisais en groupe. (Il y avait des ateliers d’écriture organisés quand j’étais à l’hôpital, auxquels j’étais fortement incitée à aller par toute l’équipe soignante, mais j’ai toujours refusé net. Vous ne m’aurez pas, go fuck yourself, c’était ce que j’avais dans la tête.)

Cette fois, personne ne faisait pression sur moi. Zéro contrainte, zéro enjeu, zéro manipulation surtout. Rien à gagner à me montrer gentille et disciplinée, rien à perdre à ne pas l’être, go fuck yourself. C’est moi qui ai trouvé l’atelier et j’ai décidé librement, de moi pour moi.

Pendant l’atelier, j’ai été émue avec des larmes et ça m’a troublée parce que je ne m’y attendais pas. (Alors que bon, si j’y avais réfléchi trois petites minutes, quand j’écris, je touche à ce qu’il y a de plus intime en moi, de plus vrai. Donc le faire en présence d’autres personnes, dans la bienveillance, la vulnérabilité et le partage, évidemment que je risquais d’être émue.)

 

Pendant cet atelier, j’ai appris des autres et j’ai appris de moi ; par exemple j’ai appris que pour moi l’amour est un·e loup·ve.
Ça non plus je ne m’y attendais pas, c’est venu comme ça.

« Un amour, c’est une relation qui fait danser notre âme en paix. »

Cette phrase n’est pas de moi mais d’une des participantes du groupe qui m’a autorisée à la noter.

 

Merci à Louise Morel qui proposait et animait l’atelier, et à la librairie Violette & Co que j’adore.

https://newsletter.louisemorel.net

 

Chez Violette, dans le 11e arrondissement de Paris.
 
Le livre

 

→ Julia Kerninon, Sauvage, éd. L’Iconoclaste, 2023

 

Ça m’a fait tellement plaisir de lire UN ROMAN, les gens ! Un livre qui ne soit pas le récit de la dépression de son auteur (Yoga, d’Emmanuel Carrère, si tu m’entends), mais une fiction, UN VRAI ROMAN qui me raconte une histoire et que j’ai hâte de retrouver soir après soir.

Sauvage – c’est le titre de ce roman – prend place dans l’Esquilino, le quartier de la gare de Rome-Termini qui est la porte par laquelle on débarque à Rome. Quand on voyage. Même quand on arrive en avion, puisque le Leonardo Express qu’on chope à l’aéroport de Fiumicino file tout droit à la gare de Rome-Termini.

Déjà meuf, Julia pardon, Julia Kerninon, déjà tu m’emmènes à Rome au mois de novembre, c’est bon tu m’as séduite. Avant même que j’aie bu mon premier verre de Montepulciano, avalé ma première bouchée d’arancino sur un bout de trottoir sale (on est à Rome les gars, pas à Hokkaido).

S’il n’en restait qu’un(e) # novembre 2022

 

Et si en plusse tu me causes amour et cuisine, je ne vais plus bouger !  🤩

Sauvage, c’est l’histoire d’une cheffe romaine, Ottavia Selvaggio, qui avance tête haute, forte de ses choix, dans son existence. Jusqu’au jour où…

 

« Je me demandais si cette vie que j’avais manquée était davantage ma vie que celle que je vivais, si je m’étais déroutée, ou si le bon endroit était forcément celui où on se trouvait. » (p.204) »

 

Extrait de « Sauvage », de Julia Kerninon (pp.26-27).

 

Un jour, quelqu’une m’a dit :

– Reconnais que tu as une relation compliquée avec la nourriture !

Je l’ai très mal pris, la raison principale étant que c’est vrai.

Par-delà ma relation compliquée avec la nourriture, ma relation avec la cuisine est, elle aussi, compliquée. La cuisine occupe une part très importante de ma vie. Je lui consacre une attention soutenue, beaucoup de temps, et parfois, souvent, je lui en veux pour ça.

 

Le temps, c’est de l’amour.
Le rapport au temps, c’est l’estomac.

 

Pour l’anecdote, la semaine dernière, je suis allongée sur une table chez mon ostéo acupuncteur. Il est en train de me faire des points d’acupression au niveau du plexus solaire quand il me dit :

– L’estomac, c’est le rapport au temps. Chez vous, c’est très tendu.
Mon rapport au temps ?
L’estomac. Donc votre rapport au temps. Et vice-versa.

 

Le tahdig à base de tah-tchin au poulet, courgettes et pistaches que j’ai préparé le premier dimanche de novembre avec les dernières courgettes de la ferme. C’était le 2, on venait de passer à l’heure d’hiver 😩

 

L’ostéo continue d’appuyer fort avec ses doigts là où j’ai mal à l’estomac. J’encaisse l’information, je la digère – enfin j’essaye vu qu’apparemment c’est tendu – et là, j’entends quoi s’te plaît sur l’enceinte de mon ostéo qui diffuse de la musique dans le cabinet ?
Pascal Obispo, Lucie.

 

C’est pas marqué dans les livres
Que le plus important à vivre
Est de vivre au jour le jour
Le temps c’est de l’amour

 

Non mais allô quoi ?!
True story. Perso, je n’avais plus jamais entendu Obispo depuis le mois de juin 2023 où, sans que je ne sache pourquoi, cette chanson, Lucie, s’incrustait dans ma tête.

→ Cliquez sur l’image pour lire
Newsletter 118 # 18 juin 2023 : Le temps c’est de l’amour

 

« Tu peux emprunter ma foi en toi jusqu’à ce que tu retrouves la tienne. Petite étoile. »

 

Le temps c’est de l’amour et la cuisine c’est du temps.
La cuisine c’est de l’amour aussi. Tellement.

 

« On ne peut pas donner son amour à quelqu’un qui nous prend tout le reste comme s’il nous faisait les poches. Ça n’est pas possible. » (p.175)

 

Je partage avec vous un chapitre entier, comme ça vous voyez si ça vous donne envie de le lire.

 

Extrait de « Sauvage », de Julia Kerninon (pp.172-173).

 

Extrait de « Sauvage », de Julia Kerninon (pp.174-175).

 

Extrait de « Sauvage », de Julia Kerninon (pp.176-177).

 

La soupe c’est du temps.
Le loup c’est de l’amour.
Je ne le savais pas avant de voir ma main l’écrire sur mon carnet lors de l’atelier d’écriture dont je vous ai parlé.

Le loup c’est de l’amour.

 

Je pense à tous les loups de la littérature que j’ai aimés. D’abord celui de la fable de La Fontaine, Le Loup et le Chien, puis celui des steppes, celui de Marlaguette, celui de Grand Loup & Petit Loup, celui de la Soupe au caillou. Même celui de La Chèvre de Monsieur Seguin, je l’aime.
Mais pas celui du Petit Chaperon rouge. Ah non, lui non.

Souvent le loup fait peur.
C’est la nuit, c’est l’hiver. Le rencontrer c’est prendre le risque d’un dangereux chemin. Qui est-il ? Que veut-il ? Est-ce que je lui ouvre ma porte ?

 

Premières pages de l’album « Une soupe au caillou », d’Anaïs Vaugelade, éd. L’école des loisirs, 2000.
La bulle de regret

 

Lola Lafon, illustré par Pénélope Bagieu, La nuit retrouvée, éd. Gallimard, 2025

 

Si c’était le personnage principal de cette bédé, Hélène, qui écrivait mon article, cette partie se serait appelée : la bulle d’audace. Mais comme c’est moi qui écris, c’est moi qui donne mon avis et cette partie s’appelle donc : la bulle de regret.

La bulle de regret d’avoir tellement manqué d’audace.

Je ne la juge pas, Hélène (ou si ? est-ce qu’au fond je la juge ?).
Je comprends que parfois on n’ose pas, qu’on renonce, qu’on se dégonfle (ou bien non ? est-ce qu’au fond mon problème c’est que je ne comprends pas qu’on n’y aille pas ?).
Mais je vais trop vite.

 

On m’a fait cadeau de cette bédé, qui vient juste de sortir, sans que j’en aie entendu parler avant. Lola Lafon et Pénélope Bagieu, je ne sais pas comment c’est possible que je n’en aie pas entendu parler avant, mais le fait est que j’ai commencé à la lire sans rien en connaître.

D’emblée, j’ai aimé l’attention portée aux détails dans les dessins de Pénélope Bagieu.
Les portes de placards, les objets posés sur la hotte de la cuisine.
Celle qui met des chaussons dans la maison et ceux qui restent en
chaussettes.
Le bouton de pantalon qu’on ouvre après le dîner parce qu’il est devenu trop serré.
Et « la coque de la vieille », comme dit le Marcass’ (12 ans) dans toute sa délicatesse, pour désigner cette coque de protection de portable, souvent en cuir, armée d’une petite languette aimantée. Pénélope ne dit pas « la coque de la vieille » bien sûr, mais elle la dessine, exactement comme elle est. C’est même une des dernières images, quand Hélène part se coucher.

 

Planches extraites de « La nuit retrouvée », de Lola Lafon et Pénélope Bagieu (pp.6-7).

 

Dans les toutes premières pages de la bédé que j’ai photographiées pour les reproduire ci-dessus, j’ai tellement pu voir mes enfants plus tard en train de cuisiner ensemble ! Les mêmes ! Les mêmes attitudes, les mêmes répliques, et même physiquement les mêmes, c’est fou !

L’aînée : une fille, brune, maquillée, petit top moulant, ongles faits et grandes boucles d’oreilles, qui gère, veille à tout, avec le sens de la justice et de comment les choses doivent être.
L’ado du milieu : un garçon, filiforme, petite moustache, écouteurs dans les oreilles en mode balec, champion du monde de la mauvaise foi et d’en faire le moins possible.
Le dernier : un garçon encore, plusse charpenté, plusse de poils, peau mate, cheveux longs, claquettes-chaussettes, aime manger et assure en cuisine.

 

« Bah je sais pas, PRÉCISE la prochaine fois ! Tu me dis « découpe les oignons », je sais pas moi, t’as pas dit « en petit » ! Allez franchement, j’ai même plus envie d’aider. » (p.8)

Ajoute un wesh à la fin de la première phrase, un a-ziii au début de la troisième et un bruit de tchip pour terminer la conversation : tu as le Grand Lièvre (14 ans) qui vit chez moi.

 

Moi en revanche, je ne me suis pas du tout identifiée à la mère, Hélène. Au contraire.
Je ne suis ni « trop gentille » (p.8), ni « à cheval sur les horaires » (p.82), ni « pleine de principes de convenance » (p.14). Je déteste qu’on ferme le soir les volets et les rideaux pour la nuit (p.202), et surtout, je ne demande jamais à mes enfants – ni à quiconque d’ailleurs – de m’envoyer « un petit message pour me dire que tu es bien arrivé·e » (p.39) !
(Et je n’envoie pas de message non plus pour dire que je suis bien arrivée, c’est un principe auquel je me suis toujours refusée.)

 

« Being afraid, it’s not something you have to run away from. You have to be friends with your fear. » (pp.112-113)

 

Planches extraites de « La nuit retrouvée », de Lola Lafon et Pénélope Bagieu (pp.112-113).

 

Et donc et donc, pourquoi est-ce que j’ai appelé cette partie : la bulle de regret ?
Parce que, dans cette bédé comme dans le roman, Sauvage, dont je vous ai parlé plus haut, il s’agit de quelque chose que l’on n’a pas fait. Plus précisément, une rencontre à laquelle on n’a pas donné sa chance et à laquelle on repense avec tristesse et mélancolie ; moi je dirais REGRET.

On entend soupirer parfois :

Ah ! C’est quelque chose qui aurait pu, mais qui ne s’est pas fait…

Ma parole, quelles briques de résignation il y a là-dedans ! Comme si c’était la vie, que le hasard décidait et qu’on n’y pouvait rien. Mais moi je te jure, ça me rend malade ces histoires d’amours ratées. Je ne les trouve pas romantiques, je les trouve misérables. Y’a rien qui me laisse un sentiment de plus grand gâchis que ces histoires où les gens se ratent, n’osent pas se dire, par peur la plupart du temps, par timidité, pudeur, ou je-ne-sais-quoi.
Bullshit. Manque d’audace.

Voilà pourquoi je dis « quelque chose que l’on n’a pas fait », et pas « qui ne s’est pas fait ».
Parce que ça aurait pu être autrement. Ça aurait être autrement, si on n’avait pas laissé faire la vie justement. La vie qui n’a fait rien du tout, walou.
Alors que, la première marche du courage, dans chacun de ces deux ouvrages, la bédé et le roman, ça aurait simplement été de composer un numéro de téléphone. Un numéro qui, en plusse, a été donné par la personne concernée, pas un numéro qu’on a volé !

 

Mais peut-être que ce n’est pas si simple, et c’est ça l’histoire.
Pfff. Ça me tue.
Vraiment, ça me rend dingo l’idée d’une opportunité ratée qui aurait pu changer la trajectoire.

Ou comment une vie bascule à partir d’une main qui s’aventure.

 

À Gennevilliers, au bout du métro de la ligne 13, en partant pour l’atelier d’écriture (9 novembre 2025). Le dessin sur la barre d’immeuble de Lis-moi septembre 2025 a été légendé.

 

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Et vous, qu’avez-vous lu en novembre ?