Écoute-moi janvier 2025

Photo : De mon téléphone au 30 janvier 2025.

 

Ce mois-ci j’ai couru 100 km.
Bah ouais t’as qu’ça à foutre pendant que les autres partent au travail. Ta gueule, Monique.

Cette année ça fera dix ans que je cours, et je n’ai jamais eu aucun outil qui m’indique combien de kilomètres, à quelle vitesse, FC, VMA, VO2 max et autres formules mathématiques absconses auxquelles mon cerveau se refuse en mode brouillard-je-comprends-rien-wouwouwou. Sans parler de la comptabilité du nombre de calories brûlées qui s’affiche sans que t’aies rien demandé. Je sais que ça peut vite être dangereux pour moi ce genre de données, alors je n’ai pas de montre connectée, pas de tech dans mon run, et ça me va bien comme ça. Jusque-là je ne prenais même pas mon téléphone.

Je ne sais pas si vous fréquentez des sportifs·ves, personnellement j’évite.
Si oui, vous savez que les questions chiffrées arrivent vite (et la comparaison internalisée avec) : tu cours combien de fois par semaine ? quelle durée ? quelle distance ? c’est quoi ton allure moyenne au kil’ ? en montée ? et en fractionné ?

Avant septembre dernier, je savais juste répondre aux deux premières questions. Le reste, aucune idée. Et puis à la rentrée j’ai eu envie de progresser. Je me suis mise à écouter de temps en temps le podcast « Dans la tête d’un coureur ». (Et la coureuse, non ? Tu l’emmerdes ?)
J’ai compris que pour améliorer mon endurance et ma vitesse, il fallait que je fasse des séances de fractionné. On me l’a assez répété, j’ai les cheveux couleur corbeau mais sans montre, sans coach, sans plan, je ne savais pas comment m’y prendre.

C’est pour cette raison que j’ai décidé d’essayer avec une appli de running. La plus basique que j’aie trouvée, avec un run guidé qui me dit dans l’oreillette quand accélérer et quand ralentir. Et non les ami·es, c’est pas Strava, certainement pas ! Je suis déjà un peu border, alors ce genre d’appli ultra compétitive et tout ce qui est téléphone ou montre connectée qui compte tes pas dans la journée, c’est vraiment pas pour moi. La pression de la performance et de la rentabilité, l’insécurité de la comparaison permanente, le perfectionnisme et tout ça, c’est bon, je mobilise assez d’efforts pour essayer de m’extraire de ces schémas délétères du capitalisme qui infiltre à la source nos systèmes de pensées, je ne vais pas non plus m’en ajouter !!!

 

Voilà qui parlera à celles et ceux qui ont grandi dans les années 90 comme moi… (Source : « Être de gauche / Servir la droite », dans la newsletter Word Economy, de Marion Olharan Lagan, le 12 janvier 2025.

 

Ça a été toute une histoire pour dépasser mes résistances et dévier de mon principe (débile) de n’installer AUCUNE appli sur mon téléphone. À part WhatsApp. Google Maps, Spotify et Apple Podcasts. Maintenant avec le run ça fait cinq.
Et ça n’a pas fini de m’énerver d’ailleurs, ça continue parce que non je ne veux pas participer à la communauté des utilisateurs et utilisatrices de l’appli, non je ne veux pas cocher les options qu’on me demande de cocher, et surtout, surtout, je ne veux pas être géolocalisée. Or si t’es pas géolocalisée ma sœur, tu peux pas te servir de l’appli sa mère. C’est sega ça le capitalisme. Il te surveille, il sait où tu es, il sait ce que tu fais, et donc, DONC, je me dis aujourd’hui en apprenant à boire mon verre aux trois quarts plein : si cette putain de Big Brother d’appli peut au moins servir à célébrer ma joie de janvier… 

 

Voilà, c’est pour ça.
Pour ces 100 km qui me font plaisir, qui m’ont donné de la joie.

Et un gros doigt dans la face du jeune mascu en groupe qui m’a traitée de grosse pute au début du mois (Newsletter 139 # 2 février 2025).

 

Je ne me lance pas le défi de faire mieux dans les mois qui viennent – même si, objectivement, les conditions météo s’arrangeant, je devrais être capable de faire mieux. Car courir en janvier c’est avant tout le froid, la pluie, la boue, les doigts gourds et le souffle court. Mais j’essaye de ne pas me mettre de pression en me rappelant pourquoi je cours. Pour expulser ma rage et me donner de la joie.
Mon vrai objectif, à plus long terme, c’est d’être encore capable de courir 100 km en janvier 2026. Surtout avec l’autre, là, qui rôde.

Et forcément, mettre le plusse de chances de mon côté pour atteindre cet objectif requiert que je ne m’arrête pas subitement de courir dans les mois qui viennent. Voire que je me mette au fartlek, dont je n’avais jamais entendu parler avant et que j’ai découvert grâce à mon appli de running. Comme quoi. J’apprends à voir ce qu’il y a de bien.

 

Sur l’Instagram de la poétesse Cécile Coulon, décembre 2024.
La chanson

Je me demande comment j’ai pu vous écrire une si longue introduction autour de ma photo d’en-tête sans du tout expliquer sur quoi va s’articuler notre nouveau rendez-vous de la fin du mois… Mon égocentrisme capitaliste, sûrement. Eh bien dans cette nouvelle série, Écoute-moi janvier, février, etc., je partagerai avec vous quelques-uns de mes enthousiasmes musicaux, podcastiques, sériels et cinématographiques.

 

→ ???

 

Alors là je ne peux absolument pas vous dire ce que c’est la chanson, ni le titre ni le nom de l’interprète, tout ce que je sais, c’est que c’est celle qui tournait dans le resto géorgien au moment où j’ai dû partir avec mes cops vendredi soir pour ne pas rater le dernier métro de la ligne 13.

J’ai adoré l’ambiance de ce resto. L’ambiance et la cuisine, les nigvziani badrijani (aubergines roulées aux noix et graines de grenade, or la grenade, rappelez-vous, c’est aussi un peu l’Iran, l’ojakhouri (ragoût dont le nom signifie « familial », composé de porc mariné mijoté longtemps pour qu’il soit très tendre, et des pommes de terre dorées, des oignons, des poivrons, le tout relevé de mystérieuses épices géorgiennes), avec aussi du khatchapouri (pain au fromage) qui est le plat national géorgien, et puis du vin de Qvevri.
Le vin de Qvevri, rouge ou ambré, est produit par une méthode de vinification ancestrale, présente en Géorgie depuis 8 000 ans d’après l’estimation des archéologues (ah ouais quand même), classée au Patrimoine mondial de l’Unesco (ah ouais quand même bis).

Et mon troisième ah ouais quand même, c’est que c’est quand même pas souvent qu’on pousse les tables d’un resto parce que pourquoi pas, et qu’on se met à danser là comme ça avec les gens qui sont là. Sauf peut-être au Café des Filles de Valmondois…  🤩

 

 

Donc voilà, le Svetlana* du 52 rue d’Orsel dans le 18e a fermé, et ça c’est la fin d’un monde, mais maintenant il y a le Colchide un peu plus bas dans la rue des Martyrs. Si ce n’est pas tout de suite tout de suite que vous vous imaginez prendre la route en vélo pour Tbilissi mais qu’on dirait bien que la Géorgie soit devenue, ces derniers temps, la nouvelle Italie qui vous fait rêver la nuit, une virée au Colchide sera une première étape. Plus accessible que les 4 000 kilomètres de vélo dans la montagne qui vous séparent de Tbilissi.
Lisez Plouhéran, À vélo de la Bretagne à l’Iran, de Isabel Del Real.

Lis-moi janvier 2025

 

Le nom du restaurant, Colchide, fait référence à un ancien royaume, pays des Amazones et destination des Argonautes, qui s’étendait sur la côte orientale de la mer Noire jusqu’au nord-est de la Turquie (une zone qui correspond aujourd’hui à plusieurs régions de la Géorgie).
Ne me remerciez pas. Toutes ces découvertes me comblent de joie.
Et joie est mon mot de l’année.

* Le Svetlana, c’est le resto russe dont je vous parlais dans un de mes premiers articles du blog : Le problème quand tu cuisines…

 

Au Colchide, vendredi 24 janvier 2025. Au premier et troisième plans, nigvziani badrijani (aubergines roulées aux noix et graines de grenade). Au second plan, pkhali (mousses de betteraves et d’épinards aux noix). À gauche, le khatchapouri imerouli (pain au fromage). À droite, le vin rouge de Qvevri Saperavi Margo.
Le film

 

Les graines du figuier sauvage, de Mohamed Rassoulof (2024)

 

Ce film m’a été chaudement recommandé. Il se passe en 2022 en Iran, c’est l’histoire d’un fonctionnaire, sa femme, leurs deux filles ados. L’homme travaille pour le régime des mollahs, sa femme (au foyer) lui épargne les soucis du quotidien et lui apporte soin, amour et dévouement. La vie roule… tant que les filles obéissent. Mais quand elles se mettent à s’intéresser au mouvement Femme, Vie, Liberté qui explose dans les rues de Téhéran, l’image du « bon père de famille » se fissure et je ne vous spoile pas la suite !

Il y a bien sûr un lien direct entre ce film et le livre de cuisine et la bande dessinée qui ont marqué mon mois de janvier, dont je vous ai parlé dans Lis-moi janvier 2025.
Car même si le film ne parle pas du tout de cuisine, moi je SAIS pour le tahdig donc je VOIS. J’ai vu la scène où la mère et ses deux filles préparent ensemble le dîner en attendant le retour du mari et père, et j’ai très bien vu la marmite de riz sur le feu avec le torchon enroulé bien serré autour du couvercle pour que la cuisson soit parfaitement hermétique. À l’iranienne.

 

Affiche du film « Les graines du figuier sauvage », de Mohamed Rassoulof (2024).
 
La série

 

Nous, Jeunesse(s) d’Iran, Voyage interdit au sein de la génération Z iranienne
Un documentaire de Solène Chalvon-Fioriti, sorti en 2024 sur France 5

 

J’ai parlé du mouvement de révolte iranien Femme, Vie, Liberté (qui est, à la base, un slogan politique des combattantes kurdes, repris en Iran à l’automne 2022 après la mort de Mahsa Jîna Amini), mais comment ça se passe concrètement pour les jeunes en Iran ?

La réalisatrice de ce documentaire donne à voir le quotidien de six jeunes, dont les combats et les préoccupations diffèrent parfois, mais qui tous et toutes bravent l’interdiction de filmer pour témoigner de leur réalité. Ce faisant, ils et elles risquent d’être dénoncé·es, arrêté·es, emprisonné·es, assassiné·es. C’est pourquoi leurs vrais visages ont été modifiés à l’aide de l’intelligence artificielle. Je n’avais jamais vu ça avant, je trouve ça dingue. Comme de reproduire une voix pour faire tenir à quelqu’un·e des propos qu’il ou elle n’a jamais tenus.
C’est dingue l’usage qu’on fait du progrès technique. Le meilleur ou le pire.

 

Documentaire « Nous, Jeunesse(s) d’Iran », de Solène Chalvon-Fioriti (2024).
 
Le podcast

 

→ Les Couilles sur la table, épisode #106 : Toutes premières fois
https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/toutes-premieres-fois

 

Là vous allez me dire : y’a pas de lien direct avec l’Iran ! Alors oui… mais non ! Le lien c’est que c’est suite aux conseils de Victoire Tuaillon que j’ai regardé la série documentaire sur la jeunesse d’Iran dont je viens de vous parler. Et Victoire Tuaillon, c’est ma star la créatrice des Couilles sur la table, voilà.
La vérité c’est que tout ne peut pas être unifié parce qu’on ne fait jamais qu’un·e, on a tant de vies en une ! Quand j’écris un article pour partager avec vous mes lectures, puis mes écoutes, j’adore quand je m’aperçois qu’une œuvre culturelle ou artistique fait écho à une autre, et ce mois-ci le lien c’est l’Iran. MAIS. Mais mais mais, je ne peux pas enlever de moi que je me suis fait traiter de « grosse pute » le premier dimanche de l’année et que, forcément, les jours de janvier qui ont suivi, cette agression verbale a continué de tourner dans ma tête. Elle est venue teinter les expériences que j’ai vécues ; elle a nourri ma réflexion, orienté mes chemins de pensée, et finalement renforcé ma conscience féministe.

Parce que c’est vertigineux, vraiment, de percevoir l’étendue des systèmes de domination du patriarcat et la souffrance que produisent les normes de genre sur les un·es et sur les autres.

Sur les unes surtout, on va pas se raconter d’histoire.

 

Un bon échantillon où, comme dans un nuage de mots, les insultes les plus utilisées à l’encontre des femmes apparaissent en plus gros caractères. (Infographie de 2020, source de la RTBF – Radio-télévision belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles.)

 

Revenons à mon podcast du mois – déjà que c’est hyper dur de n’en choisir qu’un, tant il y a de podcasts passionnants parmi ceux que j’écoute.
Au cas où vous ne le sauriez pas, Victoire Tuaillon a quitté Binge audio à la fin de l’année 2024 et c’est Naomi Titti qui a repris les commandes des Couilles sur la table. J’attendais de voir si la qualité d’analyse serait toujours là, et oui, ce premier épisode de 2025 m’a convaincue que oui.

Naomi Titti interviewe Isabelle Clair, sociologue, directrice de recherche au CNRS au sein de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, pour sa grande enquête sur les amours adolescentes publiée en 2023 : « Les choses sérieuses ».
Pendant vingt ans, Isabelle Clair a suivi une centaine d’adolescent·es de milieux sociaux différents : en cité de banlieue, dans les campagnes, chez la bourgeoisie culturelle parisienne. Elle montre en quoi l’apprentissage du couple à l’adolescence est d’abord un apprentissage de l’hétérosexualité, et donc des normes de genre, quel que soit le milieu social d’origine.

C’est très (très) intéressant. Je vous conseille vivement de l’écouter. Si vous appréciiez déjà le travail de Victoire Tuaillon, vous ne serez pas déçu·es.

 

Podcast Les Couilles sur la table, épisode #106 : Toutes premières fois (2 janvier 2025), Binge Audio.

 

J’en ai retenu que si on (« on » ici désignant certains hommes), si on se permet de me traiter de grosse pute dans la rue, c’est parce que je suis une femme « publique » : une femme seule dehors est une femme qui n’appartient à personne. Et ça me va comme ça. Dans la façon dont je le vois.
Car, de fait, je n’appartiens à personne.

Je ne suis sous la protection de personne parce que je ne suis la propriété de personne.

Je n’ai de comptes à rendre à personne sur ma tenue et ma présence dans l’espace public.

En marchant ou en courant seule dans la rue, je prends le risque de m’y faire insulter, c’est vrai, potentiellement violer à la nuit tombée (ou en plein jour), c’est vrai aussi, mais je suis LÀ et je ne rentrerai pas chez moi par peur.

Je suis une femme vieille et je vous emmerde – comme dirait Brigitte Fontaine que je salue pour la Scandaleuse qu’elle incarne depuis tant d’années, à rebours de ce qui est attendu d’une femme.

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/les-scandaleuses-des-femmes-libres-pour-la-liberte-de-toutes-20241219_RPLRJWAMO5AKRG6RN3D4LKBLK4/

 

Brigitte Fontaine, 85 ans, dans le documentaire « Les Scandaleuses », de Cécile Delarue (2024).

 

N’empêche, écouter les résultats de l’enquête sociologique m’a fait froid dans le ventre. Je suis affligée d’entendre à quel point, en 2025, les attendus sociaux dans les rapports amoureux sont encore ultra genrés, limitants, et émotionnellement toxiques. Pour les femmes en premier lieu, comme on sait, mais aussi pour les hommes qui ne sont pas tous des alpha dominants, et pour les relations interpersonnelles en général. On se fait du mal.

Plus j’avance sur mon chemin et plus je réalise comme, dans tous les domaines de notre vie, nos croyances et nos comportements sont profondément masculo-blanco-valido-hétéro-centrés. Cette « norme » engrammée en nous à la naissance, de manière invisible, qui n’est pas un choix conscient et qui nous fait souffrir sans que jamais on ne la remette en question.
Évidemment.
Évidemment parce que quand on commence à la questionner, on s’aperçoit qu’elle ne nous correspond pas. Qu’elle ne mecorrespond pas à moi, qu’elle correspond à très peu de gens en fait.

J’ai trouvé tellement intéressant le travail d’Isabelle Clair que j’ai ensuite regardé le film qu’elle recommande dans le podcast : Golden eighties, de Chantal Ackerman. Ne faites pas ça. Il y a Lio et Delphine Seyrig dedans, je sais, mais même, ne le faites pas. Believe me.

 

Sinon j’ai tapé « grosse pute » dans Google avec l’idée de trouver un dessin humoristique pour clôturer mon article, histoire de revenir à ma joie de runneuse de janvier. Joie, légèreté, auto-dérision et colin-tampon. À la place je suis tombée sur ça :

 

Chapô d’un article paru dans Libération le 25 janvier 2024. Lien vers l’article : https://www.liberation.fr/societe/police-justice/grosse-pute-relaxe-pour-le-policier-ayant-injurie-une-femme-qui-portait-plainte-pour-agression-sexuelle-20240125_Z5JSRWC5SFBAXHR7YEOW5DJ7EE/

 

Curieuse, j’ai commencé à lire, et très vite c’est une onde de choc qui m’a parcourue. Il se trouve que l’avocat de la plaignante dans cette affaire dont je n’avais jamais entendu parler jusque-là, est aussi l’avocat qui a défendu mon agresseur sexuel devant le Tribunal de Grande Instance de Paris le 27 novembre 2015. Le même avocat, mais cette fois du côté de la victime.
C’est un avocat brillant, de gauche, connu pour défendre les victimes de violences policières, on pourrait espérer que si ce mec-là met ses compétences au service d’une cause juste, ça fera changer les choses. Mais non. Parce que dans ce procès comme dans le mien, que le même brillant avocat défende le violeur ou la violée, le résultat de la justice en France est identique : L’AGRESSEUR EST RELAXÉ. IMPUNI. PROTÉGÉ.

Je sais tout ça au fond, culture du viol, boy’s club et impunité.
Je sais bien que, malgré #MeeToo et une grande libération de la parole, dans les faits, dans les décisions de justice, ça n’a pas changé.
Je sais tout ça par cœur et dans mon corps, mais c’est de lire son nom, ça m’a secouée. « Écrabouillée », comme l’a parfaitement exprimé la victime dans ce banal fait divers de janvier 2024.

Moi aussi, comme les millions d’autres femmes écrabouillées que la Justice a classées sans suite, je me suis réparée à partir de mes propres ressources, en cherchant ce que serait ma suite, et aujourd’hui je n’y pense plus tous les jours de ma vie, merci à moi. Mais je n’ai rien oublié de ce jour de procès, ni mon violent mal de ventre, ni le nom et le visage de l’avocat qui a piétiné la vérité sans scrupule en défendant les intérêts de mon agresseur sexuel. (Qui a nié ce qu’il a fait. Évidemment. N’est-ce pas ce qu’ils font tous ?)

 

Tract d’information pour préparer la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles du 19 novembre 2022 à Paris. Et sinon, on l’ajoute que 94% des mineur·es victimes de violences sexuelles sont laissé·es avec leur agresseur ? (Statistiques 2022 en France, source noustoutes.org).

 

« Être de gauche n’empêche pas d’être un connard. »

 

C’est ce qu’a dit mon mari avec l’honnêteté de lui qui m’éblouit, avant de proposer d’ouvrir une bouteille de vin.

Ni être de gauche, ni militant écolo, ni même membre de la Ligue des Droits de l’Homme (car toujours pas de Femme là-dedans), rien n’empêche les hommes d’être des connards si ce n’est la volonté sincère de regarder en face ce qui se passe, de reconnaître les rapports de domination et de commencer à les déconstruire.
Se revendiquer de gauche ne prémunit pas contre le risque d’être un violeur, ou quelqu’un qui prend la défense d’un violeur et contre-attaque en accusant une femme – des femmes en l’occurrence dans mon cas – de mensonges et volonté de nuire. Mensonges et volonté de nuire. C’est le monde à l’envers.

Ça fait qu’en tant que femme entourée d’hommes, on n’est en sécurité nulle part. C’est important de se le rappeler ; on n’est en sécurité nulle part, surtout pas quand on vient porter plainte pour viol dans un commissariat de police. Et dire qu’il y a encore des toquards qui trouvent que oui mais là quand même, les femmes elles exagèrent, par exemple les cercles de parole qu’elles organisent en non-mixité, ben ça c’est pas gentil parce que ça nous exclue, nous les hommes [comprendre nous les hommes blancs, cis, hétéro].

Relisez ça avec, dans votre tête, la voix d’Aymeric Lompret qui ferait une chronique sur les mascus, ça mettra un peu d’humour là où parfois je perds le mien.

 

Récits d’expériences d’élues locales suite au hashtag #EntenduALaMairie (source noustoutes.org).

 

Je termine en vous demandant pardon de m’être un peu emballée sur la fin, d’habitude je me retiens. Mais c’est cet article sur lequel je suis tombée par hasard dans ma recherche, le nom familier de cet avocat qui m’a fait dérailler.

Non en fait : je raye.

Je ne terminerai pas MON article sur MON blog en me gribouillant d’avoir été écrabouillée.
Je ne terminerai pas MON article sur MON blog en m’excusant de reparler de mon viol par peur d’être jugée hystérique et donc décrédibilisée, par peur de subir un backlash parce que bon, ça va, cette histoire c’était y’a longtemps, faut avancer maintenant cocotte, par peur, simplement, de passer pour la féministe relou qui casse l’ambiance auprès de mes amis hommes cis.

Je précise « mes amis hommes cis » parce que, mes amies avec un e, elles, toutes, je ne leur casse pas l’ambiance : elles vivent dedans. Plus ou moins consciente, plus ou moins forte selon le vécu de chacune d’entre nous, dans le choix des modalités de retour d’une soirée autant que de la tenue, la crainte du danger des hommes est présente partout. Depuis ce que j’appellerais « les embêtements sexistes légers et multiples » avec lesquels on s’est habituées à composer, l’injure – grosse pute – ou, a minima, la petite réflexion salace dite avec humouuuur bien sûr, allez détends-toi c’est pour rigoler, au harcèlement, de rue, pro, perso, l’insistance lourde, l’emprise, jusqu’au viol et au féminicide.

 

Euh… du coup Monique, c’était quoi ton plan avant que je raye les deux phrases que tu m’as soufflées à la fin de l’article ? M’auto-backlasher ? Demander pardon d’être encore en colère et de redire encore les mêmes choses parce que, guess what, c’est les mêmes choses qui se passent encore et encore ?

Oui bah non. Lâche-moi un peu Monique, prends des vacances.

 

Manifestation contre les violences sexistes et sexuelles à Paris le 19 novembre 2022.

 

*****

 

Et vous, que vous a apporté janvier ?