Street food in Latin America

Photo tirée de la série Netflix, « Street food in Latin America » (Bolivie).

 

Manger dans la rue en Amérique Latine

 

Alors les gens, vous avez pris le temps de regarder Street food in Asia ? Racontez-moi !
Cette semaine je continue de manger dans la rue avec Street food in Latin America et c’est un autre voyage : moins de riz, plusse de pommes de terre, de haricots secs, de fromage… et encore de très beaux portraits.

 

Épisode 1 : Buenos Aires, Argentine

On commence par l’Argentine et l’Argentine c’est a priori pas l’épisode pour moi. La grosse viande, le gros fromage… non. Non non. Et me dis pas que tu danses le tango après ça, espèce de mytho ! Je m’y connais pas trop en tango. J’essaye de suivre mais c’est difficile parce que ça change de direction au moment où tu t’y attends le moins. Il faut être très souple. Faire confiance à ton partenaire, qu’il soit fiable ou pas parce que bon, t’as pas le choix. Sinon il faut changer de danse. Et ce serait con parce que c’est très beau.
Je m’y connais pas trop en tango mais je sais un truc : après la tortilla farcie au jambon et à la tonnasse de mozza de Pato Rodriguez du marché de Buenos Aires, tu bouges plus. Tu poses ton ventre quelque part et tu laisses ton foie faire son travail pendant que tu rêves (d’amour).

Tu me diras : t’es pas obligé(e) de prendre la tortilla décomplexée (patates, jambon, BEAUCOUP de fromage). Tu peux préférer la complexée (patates, épinards, fromage beaucoup aussi mais y’a des épinards ça fait du vert). Et puis ça va, y’a pas que la tortilla au pays du tango ! Il y a aussi le choripán (sandwich de chorizo) à la sauce chimichurri, les empanadas à la viande, et la fugazzeta.
Quoi ? Tu sais pas ce que c’est la fugazzeta ?
Ben imagine une pizza farcie au fromage, avec de la mozzarella en couche aussi épaisse que la pâte à pizza (en Argentine la pâte à pizza est épaisse), recouverte d’une deuxième pâte à pizza (re-épaisse). Un kilo et demi de mozza par fugazzeta. Tu me crois pas ? Vas-y, regarde toi-même l’épisode ! Mais attention, surtout tu parles pas de fugazzeta quand tu vas à Naples. Jamais. Même sous la torture, même si t’es grave amoureux d’une tanguera que tu veux honorer. Jamais. T’en parles pas sinon tu prends un coup de Beretta.

 

La tortilla ultra décomplexée de Pato Rodriguez. T’as compris l’histoire à propos du tango ?

 

Allez, je me moque parce que je n’ai pas le goût de la cuisine argentine, contrairement à ma mère qui honore ainsi ses origines et la mémoire de son père – en même temps je fais pareil avec le mien parce qu’une pizza à Naples, j’t’explique, c’est une pâte fine, tomate, ail, origan, huile d’olive et basta. Vade retro mozzarella (surtout par 1,5 kg) !

Je n’aime pas tellement la cuisine argentine mais j’ai beaucoup aimé Pato Rodriguez. Pas le footballeur, la cuisinière. La rebelle. Je l’ai tellement aimée que j’assumerais jamais de lui commander une complexée. No way. Au contraire, je gueulerais très fort pour que tout le monde m’entende que je veux une décomplexée, avec plein de fromage qui dégouline de partout et même plusse. C’est dire mon amour…
J’aime qu’elle ait décidé de devenir la meilleure dans ce qu’elle fait, comme de nombreux(ses) cuisinier(e)s qu’on rencontre dans Street Food. J’aime cette exigence qu’elle a vis-à-vis d’elle-même et que je m’efforce de transmettre à mes enfants depuis le début de leur vie. Je sais que parfois je suis dure mais ils apprennent aussi à s’estimer pour qui ils sont.

 

Pato Rodriguez devant son stand de Las Chicas de Las Tres, au marché de Buenos Aires.

 

 

Épisode 2 : Salvador de Bahia, Brésil

Après l’Argentine, le Brésil c’est vraiment un autre monde. Une autre langue et, carrément, un autre continent. D’ailleurs, suite à ces deux premiers épisodes sur les deux plus grands pays d’Amérique latine, Mickaël a déclaré (dans un art maîtrisé du résumé) :

– En fait l’Argentine c’est l’Europe, et le Brésil c’est l’Afrique !

Et la cuisine, comme toujours, est le miroir des influences culturelles, économiques, religieuses, historiques, et que sais-je encore. La cuisine de la rue brésilienne se nourrit d’une double inspiration portugaise et africaine. Elle est le témoin des brassages de population qui l’ont transformée, enrichie, et des métissages qui la rendent si vivante aujourd’hui.

Parmi les magiciens de la rue, j’ai choisi Doña Suzana et je l’ai aimée. (Toi aussi tu vas l’aimer, c’est obligé.) Je n’ai pas entendu son bégaiement. Celui qui donne son nom à sa maison : « Re-restaurant Doña Suzana ». Du tout. J’ai demandé à ma cops Marlou de l’écouter dans sa langue brésilienne, sans les sous-titres en français, pour me dire si elle l’entend bégayer. Elle m’a dit oui. Et aussi qu’elle avait aimé Doña Suzana, qu’elle voulait la prendre dans ses bras.

 

Doña Suzana dans son restaurant, à Salvador de Bahia.

 

Moi j’ai dit :

S’il te plaît
Je voudrais aller à Bahia…

Je voudrais manger la moqueca de Doña Suzana. La moqueca est un ragoût de poisson à l’huile de dendê et au lait de coco. Et l’huile de dendê je ne connaissais pas mais quand je l’ai vue, ça m’a tout de suite touché au cœur : elle ressemble trait pour trait à l’huile de palme rouge de Guinée, la Villageoise le bon goût du village, que j’utilise quand je cuisine africain !  😍

Bien sûr dans les rues de Bahia, il y a aussi la feijoada, ragoût de haricots secs, de viande et de mille autres choses encore. Mickaël m’a rappelé que j’en avais fait une il y a longtemps. Oui. Il y a longtemps. C’est parce que la feijoada, c’est comme le bibimbap, je préfère quand quelqu’un la cuisine pour moi.

S’il te plaît
Je voudrais aller à Bahia…

Je voudrais voir la mer et la capoeira. Je voudrais toutes ces couleurs et les corps qui dansent.
Je voudrais goûter ce que je ne connais pas : acarajé (beignets à la pâte de haricots à œil noir – j’ai appris dans l’épisode qu’on dit « haricots cornilles »), pirão (pâte de manioc et saucisse séchée) et abará (sorte de gâteau de pâte de haricots noirs fourré aux crevettes séchées ou autre).

 

La moqueca de Doña Suzana.

 

 

Épisode 3 : Oaxaca, Mexique

Oaxaca c’est LA ville où manger au Mexique. Je pensais à Osaka au Japon parce que ça commence pareil, ça finit pareil, y’a plein de a, et c’est aussi LA ville où manger au Japon – même si au Japon partout c’est bon.

Les rues de Oaxaca ont leurs propres spécialités : aguas frescas (eaux de fruits), piedrazos (pain croustillant trempé dans du vinaigre aux oignons), toutes sortes de moles (sauces) typiques de Oaxaca, empanadas de amarillo (chaussons fourrés au fromage et au poulet à la sauce pimentée), tlayudas (énormes tortillas au fromage, purée de haricots secs, viande, sauce, chorizo, pommes de terre, purée de cacahuètes, chocolat)…
J’en ai retenu que la tlayuda c’est bien pour les fins de soirées au petit matin, pour « éponger » un peu si tu veux. Avant d’aller dormir quoi, pas si t’as un cours de tango argentino. Surtout pas !

Mais ce que je veux goûter par-dessus tout, ce sont les memelas de Doña Vale, avec sa sauce à l’ail et aux piments séchés. Les memelas sont des tortillas à la sauce et au fromage frais. Ça a l’air de rien dit comme ça, mais quand tu sais l’histoire de cette dame-là, sa ténacité, ses combats, tu veux goûter la sauce qu’elle a inventée en ramassant des piments par terre à la fin du marché.

 

Doña Vale, sur son stand du marché central d’Abastos, à Oaxaca.

 

 

Épisode 4 : Lima, Pérou

Connaissez-vous la cuisine nikkei ?

Quand on pense Pérou, on pense tout de suite la marée noire catastrophique qui vient de se déverser sur les côtes de Lima Machu Picchu. Quoique ma mère vous parlerait peut-être de Cuzco, la capitale inca, et Mickaël me dit Bobby. Pour me faire rire, pour me séduire. À cause de Bobby Peru (évidemment si vous n’avez pas vu Sailor et Lula, ça vous laisse froid…).
Moi j’aime manger – comme dirait ma copine Tere qui cuisine le poulpe de ouf, rien à voir avec ce que tu manges en France – donc si tu me dis Pérou, je réponds ceviche, ce poisson cru sous influence japonaise mais mariné à la péruvienne avec des oignons, du jus de citron vert, du piment et du sel. D’ailleurs j’ai une anecdote à ce propos, dans un livre de Deborah Levy qui s’appelle Le coût de la vie que j’ai reçu en cadeau à Noël l’année dernière, la narratrice raconte qu’elle a vu écrit sur un menu « sexvice » pour ceviche. J’ai bien aimé…

Enfin ce que je veux dire, c’est que le ceviche est le plat le plus célèbre et le plus emblématique de la cuisine nikkei, cuisine qu’on pourrait qualifier de rencontre improbable entre la culture péruvienne et la culture japonaise. Pardon si je simplifie. La cuisine nikkei est issue de l’importante vague migratoire japonaise qu’a connu le Pérou, à la fin du XIXe siècle, après les migrations espagnole, chinoise et italienne.

 

Le ceviche combinado de Toshi : daurade crue marinée, cubes et chips de patates douce, maïs, salade verte et calamars frits.

 

À Lima, Tomás Matsufuji dit Toshi revisite le ceviche à sa façon, en combinado, avec riz aux fruits de mer et calamars frits. Moi j’aime pas tellement les fruits de mer et les calamars (qui sont pas du tout pareils que le poulpe andalou de ma copine Tere) mais j’aime beaucoup le tissu que Toshi met sur sa tête pour cuisiner. Donc je prends tout. Quand tu aimes pour de vrai, tu chipotes pas. Tu n’exiges pas de l’autre : ça oui, ça non, ça c’est too much. Quand tu aimes pour de vrai tu prends tout, l’ombre et la lumière, tu tries pas.

Mais ne vous méprenez pas, Toshi c’est parce que c’est unique. Si vous aimez le super. Sinon un combinado péruvien ordinaire, c’est une grande assiette composée de poulet (ou autre viande), riz, sauce, haricots secs, patate douce…
Et dans les rues de Lima, on trouve deux mets traditionnels ancestraux à grignoter comme ça : des anticuchos (brochettes de cœur de bœuf grillé), qui étaient la nourriture des esclaves il y a 300 ans, et des picarones (beignets sucrés au miel à base de purée de courge et de farine de patate douce).

 

Toshi, dans son restaurant Al Toke Pez qu’il auto-qualifie de « miteux », à Lima.

 

 

Épisode 5 : Bogotá, Colombie

Je ne sais pas vous mais pour moi la Colombie, c’est Pablo Escobar, les cartels de la drogue, la moustache et les arepas (galettes de maïs grillé) que je n’ai jamais réussi à faire aussi bonnes que je m’imagine qu’elles doivent être. En vrai.

Dans l’épisode, tu arrives à Bogotá et direct tu vas au marché La Perseverancia, haut-lieu de la cuisine de rue traditionnelle. Là, Mama Luz, de son vrai nom Luz Dary, t’accueille avec un câlin comme Marlou et ça change tout. Elle prépare plusieurs plats dont les soupes qui sont devenues sa spécialité : le mote de queso (soupe à l’igname et au fromage) et l’ajiaco (soupe de poulet et pommes de terre) pour laquelle elle a été distinguée.
J’ai beaucoup aimé Mama Luz. J’ai aimé sa douceur et ce qu’elle a dit.

« Arrête de pleurer, mets-toi au travail. »
« Il faut être confiant, croire en soi et suivre ses rêves. »

Je me suis demandé pourquoi j’avais envie d’aller manger chez elle, Mama Luz, alors qu’il y a ailleurs des soupes colombiennes plus sexy. Par exemple, le rompe colchón : une soupe de poisson au lait de coco et aux herbes aromatiques, qu’on appelle aussi « casse-matelas » parce qu’après l’avoir mangée, ton homme devient si puissant au lit qu’il pète le matelas dis donc !
Tu vois quand même, ça devrait m’appeler je me suis dit. Et pourtant non, je préfère les soupes moins jolies de Mama Luz. J’ai pensé que c’était à cause du câlin qu’elle donne et après ça m’est venu : manger c’est de l’émotion.

Pour moi.
C’est pour ça que si j’ai trop d’émotion, je peux pas manger. Je n’ai juste pas la place.

 

Mama Luz, sur son stand Tolú du marché La Perseverancia, à Bogotá.

 

 

Épisode 6 : La Paz, Bolivie

Dans les rues de La Paz, tu croises des cholitas, ces femmes qui sont les gardiennes de la culture amérindienne de l’Altiplano et que l’on reconnaît facilement à leurs longues tresses, leurs tissus très colorés et leur chapeau melon (comme sur la photo que j’adore, que j’ai choisie de publier en tête de cet article).
La première cholita que l’on rencontre dans l’épisode, c’est Emiliana Condori. Doña Emi. Depuis trente ans, elle se lève à 2h du matin pour cuisiner ses rellenos de papa (boules de purée de pommes de terre farcies à la viande) et commencer à les vendre dans la rue à 7h15. Tous les jours. Sans jamais un repos. Depuis trente ans. Si tu crois que je meurs pas d’envie de goûter un relleno des mains de Doña Emi !

Dans la rue, tu trouves aussi les salteñas (sorte d’empanadas fourrés à la viande et aux épices), les sandwiches de chola (au porc et légumes marinés), les buñuelos (beignets sucrés) et les pasteles (petits chaussons au fromage) que tu grignotes en buvant de l’api (boisson à base de farine de maïs mauve, cannelle et clou de girofle).
Et puis il y a le helado de canela (sorbet à la cannelle) que les Boliviens appellent « l’allège-peine » parce que c’est doux et sucré. Et que si tu n’as pas des bras amis ou amoureux pour te tenir et te serrer, l’alcool le sexe la drogue le sucre, en Bolivie comme ailleurs, c’est tout ce qu’il reste pour te consoler.

« Dans ce monde il faut se battre. Car si tu recules, tu perds. » (Doña Emi)

J’ai fait pause. J’ai remis. Trois fois d’affilée. Je voulais être sûre de bien comprendre.
Et puis Doña Emi a dit autre chose. Elle a dit :

« C’est quand j’ai décidé de me défendre que j’ai commencé à m’aimer. »

Je me suis répété cette phrase à voix basse, plusieurs fois, plusieurs soirs de suite en me couchant. Surtout avant Noël. Je voulais être sûre de bien apprendre.

C’était le dernier épisode.

 

Des hauts plateaux de l’Altiplano, Doña Emi te donne une leçon de développement personnel. « Personne ne me dit ce que j’ai à faire. […] Je prends soin de moi, je m’aime et je m’estime. »

 

À voir aussi :

Street food in Asia
Chef’s Table (par les mêmes réalisateurs, mais je n’ai pas encore vu)
Les tribulations culinaires de Phil
Midnight Diner : Tokyo Stories (attention, cette série est une fiction)

 

*****

 

Précédemment
Street food in Asia
Ce que cuisiner veut dire

 

Moi j’ai acheté des haricots secs noirs pour cuisiner du gallo pinto et accompagner le casado (alors qu’il n’y a même pas d’épisode sur le Costa Rica, comme ça au moins je ne serai pas frustrée de mon résultat !).

Et vous, qu’avez-vous envie de manger et de rencontrer en Amérique Latine ?