L’allaitement & moi

Photo : Bah oui, si tu publies un article sur l’allaitement, tu balances les photos qui vont avec. T’es pas une tricheuse !
Ici le Marcass’ a deux mois (juillet 2013).

 

Avertissement

Assurez-vous d’avoir du temps devant vous pour lire l’article que vous vous apprêtez à lire. Pas juste le temps de faire chauffer l’eau dans la bouilloire pour le thé, et hop, retourner (télé)travailler. Non. C’est un article long. Imaginez qu’il vous faut TOUT le temps du thé. Et plusse encore. Il faut que le thé vous brûle les lèvres, il faut qu’il soit trop chaud pour le boire tout de suite.

Je sais qu’avec ces mots je vais à l’encontre des règles en vigueur qui préconisent d’indiquer en tête d’article le temps de lecture le plus court possible pour ne pas décourager les zappeurs.
Ce faisant, je table sur le fait que :

1- vous n’êtes pas un(e) zappeur(se) ;
2- vous aimez lire ;
3- vous aimez réfléchir et vous interroger.

J’ai conscience de lancer un pari audacieux par les temps qui courent, mais AUDACE est justement le mot de mon année 2021, je vous en reparle plus loin.
Et puis je vous ai mis plein de photos et d’illustrations exprès pour ne pas vous perdre au milieu de gros blocs de texte austères… (texte austère, texte austère, répète-le plusieurs fois à haute voix et dis-moi si toi aussi tu finis par entendre « textostér(one) » ?!)

Ça y est ? Vous tenez entre les mains votre tasse de thé bouillant et vous êtes prêt(e) à prendre du temps ?

 

Le thé fumant de ma copine Adeline dans une tasse de Sifnos jumelle de celle-ci. (Photo de Marlène Cristóvão, janvier 2021).

 

L’allaitement, ça fait un moment que je l’évoque ici et , ou même très récemment ici, sans y aller vraiment. Sans en parler du tout en fait. Avec mes doutes et mes questionnements internes sur le mode : pourquoi je raconterais ça ? Ça intéresse qui ? En plus c’est intime, on parle pas de ces choses-là !
Mais justement, moi je parle. De « ces choses-là ». On me l’a même écrit comme ça :

– Toi tu es quelqu’un qui a la particularité de dire les choses…

C’était bizarre à lire, j’étais pas sûre de bien saisir quelles « choses ». Alors j’ai demandé autour de moi : je suis quelqu’un qui quoi ?
Et puis j’ai compris. C’est vrai que je dis. Parfois je ne devrais pas, souvent je regrette, mais je recommence à dire quand même. Et sur ce blog pareil. Je contrôle davantage mes propos que dans ma vie privée, mais ici aussi je dis ces mystérieuses « choses ».
Surtout depuis que j’ai réalisé en lisant Libérées, de Titiou Lecoq, que ce qu’on choisit de raconter sur un blog – et sur les réseaux sociaux que je ne connais pas – est une forme d’engagement.

 

Passages extraits de Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, de Titiou Lecoq, éd. Fayard, 2017.

 

C’est donc en pleine conscience que je choisis d’être ce « quelqu’un qui a la particularité de dire les choses » pour vous parler d’allaitement… étant entendu que je ne vais pas vous dresser un pour ou contre l’allaitement avec argumentaire sur le système immunitaire de votre bébé et statistiques du cancer du sein à l’appui. Vous trouverez ça partout.
Ici je vous invite plutôt à entrer dans ma chambre à moi, là où je laisse délibérément à la porte jugements et injonctions. Partant, je ne cherche à convaincre personne, je vous raconte mon expérience personnelle avec le souhait qu’elle puisse aider chaque femme à écouter sa voix intérieure (et aucune autre).

Car l’allaitement est un sujet polémique où vous pouvez être certain(e) que la discussion va diviser les participants en deux camps ennemis et irréconciliables.

Je m’étonne d’ailleurs que le sujet puisse être en même temps aussi à la mode et aussi tabou – en ce sens qu’il ne me semble pas qu’on ose dire « les vraies choses », justement.
L’allaitement est tabou comme l’est la sexualité dans notre société aujourd’hui, c’est-à-dire : ça s’expose en gros plan partout, on lit tout et son contraire, partout, dans tous les médias, chacun se sent autorisé à donner son conseil qu’on n’a pas demandé, on intègre toutes sortes de diktats avec beaucoup (trop) de détails techniques, on se retrouve au milieu de luttes d’influences, sommé(e) de choisir son camp, mais au final, oser en parler de manière authentique et vraie, c’est tabou.

Tu me crois pas ? Tu penses que j’exagère ?
Essaye de dire sereinement devant témoins que tu ne veux pas allaiter ton enfant, tu vas voir.
Ah bon ? Mais… t’es sûre ?

Essaye de défendre l’idée que tu peux avoir un rapport sexuel complet, fini et parfaitement satisfaisant sans qu’il y ait pénétration, tu vas voir.
Ouais mais quand même…

Non. Pas quand même. Et oui, je suis sûre.

Alors puisque AUDACE est le mot que j’ai choisi pour mon année 2021, j’y vais. Je me lance.

 

 

 

Ce qui t’entrave

La première fois que je me suis posé la question de l’allaitement, c’est quand j’étais enceinte de la Petite Souris (née en février 2009). En vrai je ne me la pose pas, je sais que je n’allaiterai pas. Depuis le début, je sais.

Pourtant il y a la pression sociale du retour en grâce de l’allaitement. Surtout si, comme moi, tu manges bio, tu as choisi de te préparer à l’accouchement avec une sage-femme qui pratique l’haptonomie, et tu te formes au portage avec une grande écharpe Storchenwiege en sergé croisé.
Je vous parle d’un temps d’avant que le portage devienne tendance et qu’il se crée toutes ces nouvelles écharpes plus faciles à nouer pour des Occidentales… Mais avec la Storchenwiege, c’était encore à l’ancienne, la mission d’apprendre à porter ton bébé sur le dos, et il m’a fallu plusieurs ateliers avant de maîtriser parfaitement. Je n’oublierai jamais le tout premier chez Isabelle, ma monitrice de portage qui est devenue une amie (cinq enfants, tous portés, tous allaités).

→ Son blog ici : http://zabouenfamille.over-blog.com/

L’atelier a lieu chez elle. Je suis la seule femme enceinte, toutes les autres femmes sont venues avec leur nouveau-né. Je conçois que ça puisse sembler saugrenu de venir à un atelier de portage sans bébé, mais je ne voulais pas attendre pour apprendre. J’étais sûre de vouloir porter. Beaucoup, tout le temps. De tout faire avec mon bébé en écharpe.
Je n’ai même jamais acheté de poussette.

 

Lucien à deux mois en écharpe Storchenwiege (juin 2011).

 

Or je ne connais personne qui porte et je suis d’un tempérament curieux, j’ai besoin de rencontrer des gens qui pratiquent, de qui je pourrai apprendre. De fait, avec Isa j’apprends. Et surtout je vois que TOUTES ces femmes autour de moi allaitent leur bébé. Je partage avec elles une tisane au fenouil parce que le fenouil favorise la lactation…

Pour moi (pour toi aussi Isa peut-être ?!), ce premier atelier est surréaliste. Parce que, au maximum, j’évite toutes les conversations qui parlent d’allaitement. Je dis non merci, très peu pour moi, je tourne à la dérision. Voire, parce que mon tempérament n’est pas que curieux, je joue la provoc’ : mon corps est à moi, je suis une femme, pas une vache laitière !

Rappelez-vous, je vous avais dit que j’aimais l’humour végane.
Voyez le clip de P!nk, militante PETA comme Peter Dinklage (que j’aime). À 1’11, c’est drôle non ?

 

P!nk, Raise your glass, album « Greatest Hits… so far !!! », 2010.

 

En vérité, la seule et unique raison pour laquelle je ne veux pas allaiter, ma vraie raison profonde et secrète qui fait que je n’allaiterai jamais, c’est que je suis terrifiée par l’idée d’être la seule personne sur qui mon bébé puisse compter pour être nourri.
Mais cette angoisse, quoique extrêmement puissante, n’est pas dicible. En tout cas pas pour moi, pas à l’époque. Alors je me réfugie derrière mille bonnes raisons que les gens peuvent entendre, qui « passent » bien :

    • je veux que Mickaël puisse établir un lien d’attachement très tôt avec notre bébé en lui donnant le biberon ;
    • je veux pouvoir confier notre bébé à ma mère n’importe quand pour partir en week-end en amoureux ;
    • je veux que mes seins restent une affaire de désir et d’érotisme ;
    • je veux reprendre le sport très vite ;
    • je veux préserver ma liberté d’aller et venir et l’allaitement me paraît une entrave inacceptable à cette liberté.

Je vous épargne le reste. J’avais certainement d’autres arguments en réserve dans ma baluche pour les plus soupçonneux(ses) mais vous avez compris l’idée. Je suis terrifiée. Et je ne veux pas être seule à porter la responsabilité de nourrir mon bébé.
Déjà que j’en ai perdu un, de bébé.

 

 

Parenthèse importante : cela fait des années que je ne dis plus jamais cette phrase horrible, « j’ai perdu un bébé », qui suppose sournoisement que c’est de ta faute. Qui d’autre ? Puisque tu l’as « perdu »…
Désormais je dis : on attendait un bébé et le cœur du fœtus s’est arrêté de battre au troisième mois de grossesse.

C’est plus long mais c’est très différent. Là je vous le raconte comme je me sens à l’époque. Avant d’avoir (beaucoup) travaillé dessus.
Donc j’ai effectivement « perdu » un premier bébé, en février 2008, et quelqu’un m’a dit texto :

– C’est pas étonnant, les anciennes anorexiques ne savent pas garder les bébés.

Quelqu’un de ma propre famille, ouais ouais.
Ça s’appelle : un petit couteau cruel caché sous un coussin. T’as beau avoir 30 ans (à l’époque), et bien plus de kilos, ça t’arrache le cœur. En plus du douloureux chagrin causé par le vide à l’endroit de ce bébé qui a quitté ton corps, tu te sens insuffisante, incapable. Coupable.
À partir de là, allaiter c’est carrément inaccessible pour toi. Un petit râteau mortel dans les seins. Et ça encore c’est rien, tu en prendras d’autres des râteaux dans les seins, ils ne seront même pas mortels, mais risquer de mettre en péril la vie de ton bébé par ton incapacité à l’alimenter ?

Tu vas le laisser mourir de faim comme le premier qui est mort dans ton ventre, là où tu dois manger, là où tu aurais dû le nourrir ?

 

Enceinte de sept mois de Garance (fin décembre 2008).

 

Bon, depuis il s’est écoulé dix ans et plusse, je sais maintenant qu’il y a tout le temps des embryons qui meurent. Plein. Ce n’est pas à cause du passé de ma maladie qui commence par un a. Mon ostéoporose prématurée oui, je prends seule la responsabilité du couteau que je me suis moi-même planté, bien profondément, mais les fausses couches non. Plein de femmes en font, même celles qui sont pas déglinguées. Des fois elles s’en rendent compte toutes seules chez elles en perdant du sang dans les toilettes, des fois tout reste dedans et elles l’apprennent comme moi à la première écho, mais on est plein.

Quand tu commences à en parler autour de toi, quand tu oses le dire, la parole se libère et tu apprends que ça arrive tout le temps. Et que ça ne dit rien, absolument rien, des femmes à qui ça arrive. Elles ne sont pas de mauvaises mères pour autant.

Tu sais quoi même ? Elles ne pesaient pas toutes 30 kg à 20 ans, et c’est pas de leur faute le malheur qui leur vient maintenant. Non.

Ouf. Ça y est je l’ai dit, j’ai craché un poids et (presque) entier le mot interdit.
Ça me serrait le ventre depuis que j’ai commencé à écrire mais ça y est, maintenant c’est dit, je vais enfin pouvoir respirer normalement !  😉

 

Une citation d’Alfred Hitchcock.

 

Attends quand même, avant de clore le chapitre, coïncidence de dingue ce matin, je te jure c’est CE MATIN que ça se passe, le Grand Lièvre (9 ans) monte sur la balance – alors qu’elle est rangée en hauteur dans la salle de bain, on ne se pèse pas souvent chez nous – et il m’annonce :

– Je pèse 30,2 kg, maman.*

Ça m’a fait un choc. Le voir tout nu, lui qui est clairement le plus mince de nous cinq, que j’ai même tendance à trouver maigre quand je caresse son dos et que je compte ses vertèbres sous mes doigts, le voir tout nu en même temps que je l’entends me dire ces mots, je pèse 30,2 kg maman, ça m’a fait un choc.
Je n’ai pas répondu. Je suis restée bloquée parce qu’à ce moment-là il y a quelque chose qui a sauté dans mon cerveau. Une incompréhension. Deux fils qui ne peuvent pas s’accrocher ensemble. Cette équation irrésolue : comment c’est possible ? comment c’est possible que je le trouve si mince lui qui a 9 ans et comment c’est possible que je me vois si grosse moi à 20 ans pour le même poids, les deux mêmes chiffres sur l’écran de la balance ?

* Je précise que Lucien m’a donné l’autorisation de mentionner son poids ici. Sans gêne et sans honte. Je le remercie et je l’admire pour pas que ça, aussi pour d’autres trucs.

 

Le Grand Lièvre cet été sur la plage de Vathi à Sifnos (août 2020). Ça va, j’allais pas poster ici une photo de moi à 20 ans ! Les photos d’allaitement d’accord, mais le reste, faut pas déconner.

 

Tout ça pour bien ancrer que les bébés qui « glissent », comme le dit si poétiquement mon amie Marie, ça arrive, c’est fréquent, et c’est comme ça depuis la nuit des temps. Si t’es un peu mystique, ou simplement si tu as besoin de croire à une raison qui te redonne de la force et de la confiance, il y a des meufs de Nanterre qui expliquent ça très doux.
Mais en aucun cas le bébé qui glisse ne préjuge de la mère que tu seras, ni de ta capacité à allaiter ton bébé d’après.

Voilà, à présent que je vous ai donné un peu de contexte, je peux en revenir au moment de la naissance de la Petite Souris, au début du printemps 2009. Il est donc clair pour moi que je ne veux pas allaiter. Je suis sûre à 100% de ma décision et rien n’y personne ne peut me faire changer d’avis.
Quand Garance est née, on me donne un médicament pour stopper la montée de lait. Je le prends pendant deux jours et puis je l’oublie, j’arrête tout. Je n’ai pas de montée de lait. Zéro, rien. Mes seins n’ont même pas augmenté de volume.
J’étais sûre que je ne voulais pas allaiter.
Si tu ne le savais pas encore, apprends que ton cerveau est surpuissant (il est aussi la première zone érogène mais ça c’est juste pour le rappeler, y’a pas de rapport ici).

 

Quelques heures après la naissance de Garance (26 février 2009).

 

Printemps 2011. Troisième grossesse, deuxième bébé.
Même angoisse non réglée d’insuffisance maternelle, même peur que le bébé meure, même décision de ne pas allaiter.
SAUF QUE.

Je suis déjà une maman.
J’ai déjà un enfant de deux ans que je nourris quatre fois par jour selon ma seule responsabilité et cet enfant va bien. Certes, la qualité et la composition de ses repas témoignent d’un souci d’équilibre alimentaire parfait que l’on pourrait sans doute qualifier d’orthorexique mais bon. Soyons indulgents. Je suis une jeune maman qui débute et qui veut tout faire bien. Quand je n’aurai plus besoin de prouver au monde entier que je suis une bonne mère quoique n’ayant pas allaité, je me rattraperai plus tard sur les petits-déj’-porridges le soir parce que j’aurai rien préparé, les goûters pomme-Kinder-Bueno, les samedis soirs pizzas-de-chez-Toufik et les mercredis midis cordon-bleu industriel même pas bio / haricots verts en conserve (tous les trois, ils adorent).

Et comme, depuis le covid, les garçons ne mangent plus à la cantine parce que je ne veux pas qu’ils portent un masque toute la journée, certains midis ils mangent une boîte de raviolis !

Bon, ça c’est mon bonus pour vous décomplexer si vous non plus vous n’en pouvez plus d’avoir vos enfants tous les midis à déjeuner et que vous n’avez pas le temps de préparer un vrai repas en plus de celui du soir parce que vous êtes en télétravail – ou bien parce que le matin, vous courez.

Si moi je le fais alors que je ne travaille pas et que je pourrais choisir de consacrer tout mon temps à élaborer des repas parfaitement sains et équilibrés comme je le faisais avant mais que dorénavant j’ai décidé que je préfère passer plus de temps à des activités qui me rendent heureuse, vous pouvez le faire aussi. Yes you can.

Bien sûr c’est infect les raviolis Buitoni, mais on s’en fout, ce n’est pas vous qui allez les manger ! Faites-vous un Miam-Ô-Fruit, et vos enfants, d’abord peut-être qu’ils vont aimer cette nourriture prémâchée à la sauce tomate, et surtout, ils seront contents que vous soyez moins stressé(e) parce que vous avez juste fait réchauffer une casserole. Believe me.

 

* La Petite Souris est atterrée que j’ose parler de raviolis en boîte sur mon blog. Elle se désolidarise totalement et m’oblige à souligner que le midi elle n’est pas là et qu’elle préfère encore « déjeuner à la cantine du collège où c’est dég’ que toucher un ravioli de cette boîte infâme que l’on ne peut pas considérer honnêtement comme étant de la vraie nourriture ».
Et elle ajoute « sérieux », comme à chaque fin de phrase depuis qu’elle est entrée en 6e.
J’insiste donc sur le fait que SEULS LES GARÇONS mangent des raviolis, qu’ils se partagent une grosse boîte à deux, et que ce n’est pas souvent. Voilà minette, c’est corrigé !  😉

 

Des fois, non seulement les garçons mangent des raviolis en boîte mais en plus, puisqu’ils sont là le midi, je leur demande d’éplucher les légumes pour le soir. Ils prennent conscience, un peu, en râlant beaucoup, de ce que recouvre la charge des repas (janvier 2021).

 

Retour au printemps 2011 donc.

Même décision de ne pas allaiter à la naissance = même médicament pour stopper la montée de lait. Cette fois-ci je le prends bien comme il faut, pendant deux mois. À croire que je me sens moins sûre de moi…
À la fin du traitement, je m’aperçois que j’ai du lait qui vient dans mes seins le matin (cf. ton cerveau est surpuissant). Je suis troublée.
Alors que je n’ai jamais pensé à allaiter, alors que je ne l’ai même jamais envisagé comme une option pour moi, pour la première fois le doute m’habite. (Pardon mais je dois penser à contenter mes lecteurs fans de Desproges qui sont surtout des hommes, n’en ont rien à battre du sujet qui nous occupe, et ne voient pas encore qu’il ne s’agit pas tant d’allaitement que de cheminement…)

J’appelle Sara, ma sage-femme qui nous a suivis en haptonomie Mickaël & moi pour Lucien, et elle me dit :

– Tu peux mettre ton bébé au sein maintenant, Audrey. Évidemment c’est plus difficile après deux mois, mais si tu veux, tu peux le faire.

Et elle ajoute :

– Je t’aiderai.

 

Garance a deux ans et demi, Lucien quatre mois (août 2011). Déjà je délègue le biberon…

 

Cette possibilité qui s’ouvre à moi alors que je croyais avoir bien fermé les portes me plonge dans une profonde confusion. Un trouble tel que, si je lui ouvre, si je le laisse grandir en moi, je pressens qu’il va faire s’effondrer les murs de la forteresse qui m’enferme mais qui me protège à la fois.
J’ai vacillé. Le temps d’un frisson sur le mode : et si… ? et si oui… ?
Et puis j’ai tout refermé. À l’abri, derrière ma barricade, je me disais : j’aimerais bien, mais ce n’est pas pour moi. Je ne suis pas une femme qui allaite. Les autres le font, oui, mais moi non. Je ne saurais pas. Je sais que je ne saurais pas. Je ne pourrais pas.

J’ai eu peur. Je n’ai pas osé.

Des fois le corps est prêt mais nous on ne l’est pas. Dans notre tête. Et guess what ?
À cause de la peur, encore elle. Parce qu’on croit que ce n’est pas pour nous, qu’on ne sera pas capable. Et on trouve des raisons de ne pas le faire, des raisons pour se convaincre qu’on a raison.
On s’empêche.
On reste petite et immobile dans la forteresse.
On vit à moitié.

 

 

Le problème de l’allaitement, c’est comme avec l’orgasme* ou le jus de fruits en bouteille : le monde fait semblant que c’est naturel, alors qu’en fait pas du tout. Il y a tout un cheminement, des étapes à passer, et ça ne vient pas dans un claquement de doigts sans efforts, sans courage. C’est beaucoup de travail.

Quelle chance j’aie eue alors d’avoir un troisième enfant, et, avec lui, une troisième chance de chercher, explorer, travailler sur moi. Abaisser des pont-levis qui semblaient levés pour toujours.

Quelle chance j’aie eue de lire les bonnes lectures et rencontrer les bonnes personnes, qui ne m’ont pas forcée, qui m’ont aidée à avancer pour moi.

Merci, merci de m’avoir permis de comprendre que ma vie était plus grande que ma forteresse.

* J’apprends ce jour par mon relais France Culture que « l’orgasme apaisera le futur » est l’anagramme de « faites l’amour pas la guerre ». Ça me paraît un bon programme !  🙂

 

 

Au printemps 2013, de nouveau enceinte de sept mois, j’ai assisté au cours de préparation à l’allaitement de la Maison de Naissance avec sept autres femmes enceintes au même terme que moi qui ne concevaient même pas ne pas allaiter (parce que c’est la posture qui va généralement de pair avec le suivi en Maison de Naissance).
J’ai dit à ma sage-femme :

– Moi Isa, je suis venue mais je ne veux pas allaiter. Je n’ai pas allaité mes deux premiers enfants, je ne veux pas allaiter celui-là non plus.

Et c’était ok. Sans jugement, sans tentative d’influence ou de manipulation. Vraiment ok.
(Mais parce que c’était Isabelle, ma sage-femme de la Maison de Naissance. Ne va pas t’illusionner que c’est partout comme ça, hein !)

Puis Marcel est né, et tout de suite je l’ai allaité.
J’étais prête.

Parce que j’avais beaucoup travaillé, j’ai ouvert les grilles, baissé les ponts, et je me suis tenue debout à l’entrée du chemin sans fermer les yeux.
Et quel soulagement de ne plus avoir à compter les millilitres, que plus personne ne vienne me faire chier avec des oh il ne boit que ça… quand même… t’as pensé à épaissir son lait, etc., etc.

FUCK YOU !
(#LesAnciennesAnorexiquesTemmerdent)

 

Marcel à deux mois (juillet 2013).
Ce qui te libère

J’étais prête ne veut pas dire que ça a été facile. Ça n’a pas été facile. Il m’a fallu six semaines pour commencer à me sentir vraiment bien, pour éprouver dans mon corps, dans mon cœur, dans ma tête, la certitude euphorisante d’avoir fait le bon choix pour moi.
Six semaines, c’est précisément le délai que m’avait annoncé ma sage-femme Nicola (j’ai déjà dit que Nicola était une fée ?).

→ Le site de Nicola, pour choisir le meilleur accompagnement : http://sagefemme-95-nicoladesmonts.fr/

 

Au début de l’allaitement, d’abord, il y a la surprise de la douleur. Cette douleur aiguë à laquelle tu n’es pas préparée, ce piège à loups qui claque d’un coup sec sur ton téton frais et primesautier… Là ce n’est que l’instinct reptilien de reproduction de l’espèce qui t’empêche d’éclater la tête de ton bébé d’un gros plat de la main – et de taper dans le mur plutôt. Si si, c’est mieux.
J’ai serré les dents et tapé dans le mur pendant six semaines. Un grand nombre de fois par jour (et nuit).

Tu comprends maintenant pourquoi c’est si important d’être absolument sûre de POURQUOI tu le fais, et soutenue dans ton choix par la personne qui t’accompagne !

N’empêche, j’aurais aimé qu’on me donne des trucs et astuces avant pour avoir moins mal pendant. Par exemple si on m’avait dit : vas-y, bronze seins nus le plus que tu peux. Pas seulement parce que ça m’aurait donné un argument supplémentaire à faire valoir auprès de Papa Écureuil, mais parce que, pour de vrai, le soleil endurcit les mamelons donc forcément après la succion du bébé fait moins mal, et pourquoi on ne le dit pas à toutes les femmes enceintes ??

 

 

C’était dur de franchir les premiers obstacles : la douleur et la peur mais, au-delà, l’épuisement, les défis techniques, le doute, la résistance, la pudeur, le regard des autres… Et puis après c’est devenu plus facile, et de plus en plus facile, comme si les barrières tombaient d’elles-mêmes au fur et à mesure que je continuais à avancer.
Je me suis sentie grandir en même temps que s’élevait en moi une joie intérieure difficile à décrire avec des mots, une joie qui ne ressemble pas du tout à celle que l’on peut ressentir en apprenant une bonne nouvelle par exemple.

Venue de l’intérieur, c’est une sorte de concentré de joie pure, une exaltation puissante qui part de moi et qui rayonne partout autour. Une célébration de la vie, dans ses belles choses et celles qui le sont moins, avec la force têtue et fière que donne le courage d’avoir osé un choix différent. Difficile.

Et la magie du truc, c’est qu’à partir du moment où on a osé faire le premier pas, monter la première marche, le chemin apparaît moins difficile qu’on ne l’imaginait quand on avait peur.

À partir du moment où on se met en route vers ce qui est juste au plus profond de soi, on sent quelque chose qui s’allège dans la poitrine et on se rend compte de ce qu’on ne voulait plus. On entend toujours nos peurs, et les critiques qui ne s’arrêtent jamais, mais on les entend comme en sourdine. On a debout, comme chanterait quelqu’un que j’aime, « le courage de sa peur », parce qu’on sait pourquoi on l’affronte. On ne sait pas où ça va nous mener mais on y va parce qu’on croit à ce qu’on fait. Et ça dis-toi, ça change le game !

Il y a cette phrase de Martin Luther King que je n’oublie jamais parce que j’y puise une part de mon courage (toute non croyante et toute NON non-violente que je suis) :

« Avoir la foi, c’est monter la première marche même quand on ne voit pas tout l’escalier. »

C’est accepter ta peur et lui donner la main pour monter avec elle.

 

Avec Marcel qui a un mois et demi (juin 2013). J’aime cette photo parce qu’elle correspond au moment où la brume s’est dissipée et où j’ai vu apparaître les prochaines marches que j’avais envie de monter…

 

Un des premiers bonheurs d’oser faire un choix plus libre, c’est que le voile se lève avec une grande clarté sur tout ce que tu n’aimais pas dans ta cage dorée et dont tu t’es libéré(e).

En allaitant Marcel, j’ai réalisé rétrospectivement à quel point j’avais détesté donner des biberons. Je ne vivais pas du tout l’image d’Épinal de la maman souriante qui donne le biberon à son bébé le regard rempli d’amour. Surtout la nuit quand je devais me lever plusieurs fois, allumer la lumière, préparer la poudre, compter les dosettes sans me tromper, les yeux à demi-fermés faire attention à bien revisser la tétine pour que tout ne jaillisse pas au moment où tu secoues, et ensuite attendre attendre attendre que ce soit fini en voyant défiler les minutes, les heures, et savoir que jamais tu vas te rendormir, ou bien trop tard, et il te restera quoi, une demi-heure de sommeil, une heure max avant le prochain biberon où, de nouveau, il faudra préparer la poudre, compter les dosettes…

Bien sûr je me rendais compte que je n’aimais pas ça au moment où je les donnais, ces biberons. Avec le stress, en plus, de pourquoi elle (il) ne termine pas, elle (il) ne boit pas la quantité recommandée, que va-t-on me dire à la PMI, et toute cette merde de chiffres.
Mais comment reconnaître devant quelqu’un : je déteste nourrir mon enfant, je déteste préparer le lait en poudre, ça pue la mort, après ça dure des plombes, ça coule partout autour de la bouche et dans le cou, y’a des rejets de lait, c’est dég’ (comme dirait aujourd’hui la Petite Souris qui mettait une heure pour boire un biberon de 180 ml).
Tu peux pas dire ça quand tu es une jeune maman. Tu peux à peine te l’avouer à toi-même.
À présent je suis vieille et je vous encule et je le dis :

J’ai détesté donner des biberons. Les biberons, c’était la plaie de mes journées.

Au point que jamais de la vie aujourd’hui tu me proposes de donner le biberon à ton bébé. Je lui lâche mon sein si tu veux, si je t’aime bien, mais le biberon, no way !

 

Tu peux voir dans ce regard de défi l’enfant qui jamais de sa vie n’a accepté de prendre une tétine en caoutchouc, ni même de boire du lait maternel au biberon précieusement stocké au congélateur pour les retours de soirée où t’as méchamment un peu abusé de la vodka ou du rhum arrangé. Plutôt crever de faim et téter des boudoirs mouillés dans l’eau comme Marlou, que triche et usage de faux en silicone (janvier 2014).

 

Allaiter longtemps le Marcass’ m’a fait gagner en confiance et en liberté. Confiance en mon corps, liberté par rapport aux jugements qui surgissent de toutes parts. Parce qu’on te dit IL FAUT ALLAITER, mais attention, au-delà de six mois c’est : quoi ? tu allaites encore ?!??

Au-delà d’un an, tu deviens une psychopathe. T’as un problème (mental). C’est toi qui n’arrives pas à te détacher de ton bébé. Tu es en train de le rendre pourri gâté. Tu vas en faire un capricieux. J’en passe.

Au-delà d’un an et demi, deux ans, alors là laisse tomber. T’es un paria. Il te faut une force intérieure inébranlable pour sauter par-dessus ces remarques qui t’assaillent et te viennent parfois de gens que tu ne connais même pas. Qui ne te connaissent pas non plus, qui ne savent rien de toi mais qui pourtant se sentent le droit de. Juger.
La secrétaire du labo où tu attends pour une prise de sang, par exemple*. Et toi tu ne sais pas ce qui te retient de lui répondre : mais je t’emmerde ! (Thérèse)
La politesse sans doute. Tu es bien plus polie qu’on ne croit.

* Oui parce que, l’idée, en choisissant d’allaiter, c’était pas de me cacher. J’ai des secrets à moi mais je ne triche pas. Donc si j’avais réveillé mon petit garçon de dix-huit mois juste avant de partir pour aller faire une prise de sang et qu’on me faisait patienter, oui je l’allaitais. Avec l’habitude, tu développes des techniques de ninja et personne n’aperçoit un demi-centimètre de ton sein. Au cas où le problème des gens ce soit la pudeur. Mais ce n’est pas ça, le problème des gens. Le problème des gens, c’est quand tu ne fais pas comme eux. Quand ils se sentent menacés par ta différence.

 

 

Et si j’avais cette force intérieure inébranlable, c’est parce que je tenais dans ma main tous les petits cailloux qui m’avaient menée jusqu’ici.

Merci mon accouchement sans péridurale à la Maison de Naissance. Enfin, à la Maison de Naissance c’est vite dit, note que j’aurais bien aimé hein, c’est d’ailleurs ce qui était prévu, mais la vie c’est ce qui arrive quand on a d’autres projets – comme disait ce bon vieux John Lennon qui visiblement savait de quoi il parlait.
Donc moi j’ai pas eu le temps de monter les étages pour m’installer tranquille dans le hamac et donner naissance en chantant des mantras de bienvenue. Non, moi j’allais accoucher toute seule dans le noir des toilettes de chez moi si Mickaël ne m’avait pas traînée dans l’auto, allez allez on y va, mais non, mais si, mais non je peux pas m’asseoir sur le siège, je sens sa tête qui est là, mais si viens, mais non je vais accoucher j’te dis, allez allez je démarre.

Imagine le trajet à 1h du matin.

– Arrête-moi là ! Arrête tout de suite je te dis ! Je vais accoucher sur le talus !
– Mais non mais non…
– Me dis pas mais non !
– Retiens-le, on y est presque, allez…
– Quoi retiens-le ?? C’est une blague ?! On y est rien du tout, je vais sortir le bébé dans l’herbe !
– Mais non…
– RH ! ME DIS PAS MAIS NON ! ARRÊTE-TOI JE TE DIS !!!

Mais Papa Écureuil n’a rien lâché. Il a grillé tous les feux rouges, lui qui travaille à l’anti-fraude et ne dépasse jamais une limitation de vitesse, tu ne l’aurais pas reconnu. Moi tu m’aurais bien reconnue vu que j’ai passé le trajet à hurler comme une déglinguée :

MAIS ARRÊTE-TOI ! ARRÊTE-TOI PUTAIN !!!

Tout ça pour quoi s’te plaît ?
Pour accoucher à l’arrache dans le couloir des urgences pendant que Mickaël garait l’auto toute neuve dans laquelle il m’avait forcée à monter (et que j’ai baptisée de mes eaux). Le Marcass’ est sorti de mon ventre direct dans mes mains et je l’ai attrapé par-dessous ma robe noire (que Mickaël a dû nettoyer ensuite d’éléments organiques non identifiés).
C’était ouf.

Après la naissance, j’ai claqué des dents et tremblé comme une malade de Parkinson pendant un bon 45 minutes. Il paraît que c’est la décompensation.

Mais ce moment où j’ai extrait moi-même mon bébé de mon corps a été déterminant dans la confiance et la force que j’ai gagnées pour allaiter (et pas que). Tout à coup j’étais : pleinement suffisante, pleinement capable. Toute-puissante.

Quand je raconte vraiment mon accouchement, je veux dire dans la vraie vie, avec plus de détails à des vraies gens, je dis orgasmique (ça existe en vrai, vous pouvez chercher sur Internet 😉 ).
Je sais que ça paraît déplacé pour qualifier un accouchement mais c’est difficile à expliquer. Je ne sais pas comment décrire autrement ce feu qui te déborde et t’emporte très loin tout d’un coup. Quand tu le laisses te prendre au-delà de toi et que tu lâches tout.

 

Au matin de ta nuit de folie où les sages-femmes te racontent que tu as fait flipper par tes feulements sauvages toutes les meufs qui attendaient sagement dans les salles de préparation à l’accouchement. On t’a quand même trouvé une chambre en maternité. Tu as les yeux bien cernés… mais tu as fini par arrêter de trembler. La Petite Souris a 4 ans et le Marcass’ quelques heures (8 mai 2013).

 

Allaiter m’a permis de développer une grande confiance en moi, je l’ai dit, mais allaiter nécessite aussi, pour commencer, d’avoir un minimum de confiance en soi. C’est ça qui est compliqué. Et c’est pour ça qu’il faut d’abord réunir tous ces petits cailloux dont je vous parle.
Parce qu’il y a une chose dont tu peux être sûre, c’est que tôt ou tard on va critiquer ton choix et te faire douter de toi de manière plus ou moins subtile, plus ou moins larvée, pour essayer de te plier.

À plusieurs reprises, on a cherché à me dissuader d’allaiter. Et c’était totalement dissonant pour moi qui avais tellement entendu le discours inverse : mais pourquoi tu n’allaites pas ? Il FAUT allaiter !
Alors en fait il faut un peu. Pas trop longtemps. Sinon…
Bah sinon je sais pas. Faudrait leur demander.

Ce « on » qui a cherché à me dissuader englobe des membres de ma famille, des amis, des connaissances et aussi du personnel médical, notamment quand le Marcass’ a été hospitalisé dix jours quand il avait six mois. Je dormais sur une espèce de lit de camp à l’hôpital, et les infirmières, puis les médecins m’ont demandé de réveiller mon bébé la nuit pour lui donner des biberons de lait artificiel. La raison était : cela nous permettra de savoir quelle quantité il boit.
J’ai refusé. Jour après jour, plusieurs fois par jour, j’ai refusé.
C’était pas facile parce que quand ton bébé est en détresse respiratoire au point d’être hospitalisé et que tu finis par le faire sortir avec une décharge signée par ta pédiatre de ville, tu es fragile toi aussi. À cause de la peur, again and again, tu peux douter de toi, de tout.

Mais j’ai tenu bon.

J’ai tenu bon parce que je n’étais plus cette jeune maman terrifiée qui craint de ne pas être suffisante et capable de nourrir son bébé.

J’ai tenu bon parce que je sentais que continuer d’allaiter, surtout pendant cette hospitalisation brusque et angoissante, était ce qu’il y avait de mieux pour mon bébé. Maintenir le lien connu et rassurant quand tout autour de nous était froid et étranger.
Alors j’ai même menti, oui oui docteur, je l’ai réveillé, oui oui il a tété.
Oui beaucoup.

 

Marcel à six mois (début novembre 2013). Tu crois que c’est le moment de sevrer un bébé toi ? Quand il va mal, quand il est loin de son papa, de son frère et de sa sœur, quand il a déjà toutes ces misères ?

 

Et je n’ai pas tenu bon toute seule parce que je suis une guerrière.

J’ai tenu bon parce que Mickaël me faisait confiance à fond et qu’il me soutenait comme s’il n’avait aucun doute que j’avais raison.

J’ai tenu bon parce que ma sage-femme était là aussi, encore, pour moi. Elle venait nous voir mon bébé et moi en pneumo, alors que c’est pas son job – je veux dire, c’est pas son service, elle n’était pas obligée. Elle venait, au début ou à la fin de sa journée de travail, et elle me demandait comment j’allais. Personne ne le faisait, personne ne me demandait, je me sentais tellement seule…
Elle écoutait ce que je lui disais et elle me prenait dans ses bras quand c’était trop dur. Avec des mots de réconfort. Ça va aller. Il va s’en sortir, ton bébé. Tu fais bien. Vous allez vous en sortir tous les deux. Tout va bien aller.

Elle regardait comment était Marcel, comment il réagissait aux sourires, aux câlins, comment il tétait, et puis elle validait et c’était tellement important pour moi son soutien :

– S’il dort, laisse-le dormir. Note qu’il a tété, comme ça ils te feront moins ch…

Et elle partait en chuchotant :

– Bien sûr je ne t’ai rien dit… Laisse-toi dormir toi aussi. Je repasserai demain.

 

Et sinon, vous pouvez me lâcher les seins deux minutes ? Et me servir du vin ?

 

Tout ça pour dire : quel que soit ton choix, les critiques seront là. Et la seule façon de les dépasser, c’est d’agir en alignement avec ta voix intérieure qui murmure à ton cœur.

J’ai des amies qui ont allaité un peu, d’autres plusse, à chaque bébé, et d’autres jamais. Les unes ont adoré, les autres regrettent leur choix, certaines auraient aimé faire autrement, et pour d’autres l’allaitement reste, parce qu’il a été mal vécu, une blessure.

Je peux comprendre tous les choix en matière d’allaitement sauf un, qui est pourtant le plus répandu et qui n’est pas forcément un choix d’ailleurs : c’est quand tu allaites et que tu arrêtes après deux mois. Je ne comprends pas parce que j’ai eu tellement mal ! Je veux dire, quand tu as griffé tous les murs de chez toi, enfoncé les cloisons pour ne pas hurler, et quand seulement ça commence à être cool, facile, que tu n’as plus du tout mal, tu arrêtes ?

Mais c’est quoi l’idée d’arrêter au moment où ça devient bien ? C’est quel retour sur investissement ça ?!

Et si ce choix est le plus répandu, ce n’est pas parce que les femmes sont maso, vois-tu, c’est parce que souvent ce n’est pas un vrai choix : pour la plupart des femmes, jour J de l’accouchement + 10 semaines = l’heure de retourner travailler. Et donc de sevrer ton bébé.
Nan mais tu vois la violence du truc ?
La perversité de t’être conformée à ce qu’on attendait de toi, d’avoir sacrifié ta voix, pour qu’à aucun moment tu ne te sentes heureuse de ton propre choix ?

 

 

Évidemment on te dit que tu peux toujours tirer ton lait au bureau. Bien sûr. J’en connais qui l’ont fait, la pompe et le tire-lait dans les toilettes pour continuer d’allaiter aussi longtemps que tu tiens, mais admets que c’est la misère… Et, là encore, du sacrifice…

Cet allaitement à deux mois en fait, c’est un peu comme si tu te préparais à partir dans l’espace. Tu suis l’entraînement de fond de Super Jaimie, sans l’aide d’aucun appareil bionique, et au moment où tu commences à sentir les super pouvoirs de ton corps, on te dit :

– Non mais finalement on n’a plus besoin de vous dans la navette spatiale. À partir de lundi vous reprenez votre poste à l’agence immobilière.

 

WHAAAT ? C’est quoi ce plan pourri du lundi fin d’après-midi ?!!

Là j’interviens pour dénoncer : c’est pas du jeu. Si on n’allonge pas la durée du congé maternité, alors il faut arrêter de faire pression sur les femmes pour qu’elles allaitent leurs enfants. Et refuser de signer si le sens de tout ça n’est que de se soumettre à une injonction en forme de madone à l’enfant qui allaite deux mois dans une société qui ne permet pas le vrai choix.
Parce que sinon, c’est sûr, tu auras la double peine.

Six semaines de douleur, deux semaines horribles de sevrage accéléré, et, au bout du compte, la culpabilité de reprendre le boulot avec le sentiment amer d’être passée à côté de quelque chose qui aurait pu, qui aurait dû être bien.

Moi j’ai eu cette chance d’être à la maison. En plus de toutes mes autres chances. De pouvoir faire mon choix d’allaitement librement et d’en goûter le bien-être après la torture galère des premières semaines.

 

 

J’ai allaité Marcel pendant deux ans (en même temps qu’une alimentation solide et diversifiée, parce que y’a pas qu’un plaisir dans la vie. Y’a le chocolat noir aussi  🙂 ).
Après j’ai senti qu’il était temps de retrouver mon corps pour moi. Reprendre la course. Et autres jolies choses.

(Nan parce que bon, tout ce que je viens de vous raconter sur l’allaitement c’est sympa, mais prépare-toi à une grande traversée du désert du désir. Nan vraiment. Alors évidemment quand tu allaites pendant deux ans, tu te ménages quelques oasis quand même hein. Mais c’est plusse, tu bois parce que tu sais qu’il faut boire pour tenir dans la durée, que parce que tu meurs de soif tu vois. Or au bout de deux ans, t’as vraiment besoin de sentir que tu crèves de soif. Voilà pourquoi tu arrêtes et tu ne fais surtout pas un autre enfant comme tu en avais bizarrement pris l’habitude).

En dépit de ce désert (tout à fait traversable), l’allaitement long de mon troisième enfant est une des expériences qui m’ont le plus apporté et dont je suis le plus fière dans ma vie.

Pas fière de l’allaitement en tant que tel ; je ne suis pas une militante de la Leche League, et je n’ai de leçons à donner à personne. Je ne parle que de moi, de mon expérience personnelle, et cette expérience est :
Allaiter a fait exploser mes vieux carcans et m’a ouvert l’esprit.
Allaiter m’a rendue plus libre, plus sûre de moi et plus indépendante.
La force, la confiance et la liberté intérieure que j’ai gagnées en allaitant ont réparé des blessures qui vont bien au-delà de la question de comment nourrir ton bébé.

Pour cela, je suis fière de mon chemin vers l’allaitement. D’où je suis partie, les peurs que j’ai surmontées et tout ce que j’ai dû traverser pour arriver à ma liberté de choix. À ne pas me résigner à : ben non, je ne vais pas allaiter ce nouveau bébé puisque je n’ai pas allaité mes deux premiers.
Jamais.

Les jours qui nous attendent ne devront pas mourir pour venger ceux qui se sont enfuis.

En ce sens, mon chemin vers l’allaitement n’est qu’un exemple parmi d’autres qui illustre comme la connaissance profonde de toi ne te vient que dans la façon dont tu éprouves tes choix au quotidien, et dont tu les questionnes, sans cesse.

 

Avec Garance (6 ans), Lucien (4 ans) et Marcel (2 ans), sevré depuis trois mois (août 2015). Mais il avait cette tête renfrognée aussi quand je l’allaitais donc y’a pas de lien ! 😉

 

Au final aujourd’hui, que j’aie allaité ou non n’a pas d’importance : mes enfants sont tous les trois en bonne santé, ils grandissent bien, ils sont tous aimés. Le lien que j’ai noué avec chacun d’eux est unique et ne dépend pas de si je leur ai donné mon sein ou un biberon.
En fait l’expérience d’une autre femme qui, à l’inverse, serait passée de la croyance indéfectible en l’allaitement maternel à la libération par le biberon, pourrait être similaire à la mienne.

Ce qui compte, c’est le chemin vers moi-même que j’ai accompli en prenant conscience petit à petit que les pensées que je tenais pour vraies depuis toujours sans les questionner étaient en fait des entraves qui me limitaient dans ma croissance et m’empêchaient d’accéder à cette liberté intérieure dont je parle, vivante et joyeuse.

Tel que je me raconte l’histoire, je dis souvent que c’est grâce à Garance, grâce à Lucien qui, doucement, m’ont ouvert le chemin. Jusqu’à Marcel qui l’a (bien) conforté ! Je suis pleine de gratitude pour eux trois. Et j’aime penser que c’est pour ça qu’on fait des enfants : pour grandir, pour se donner une nouvelle chance, en grandissant, de réparer ce qui a été blessé dans les temps d’avant.

Mais plus que tout, c’est grâce à Mickaël.
Lui vous dirait certainement que c’est plutôt à cause de mon tempérament excessif :

– Toi, soit t’allaites pas du tout, soit t’allaites pendant deux ans ! Mais sinon, le juste milieu tu connais ? On t’en a déjà parlé ?…

Bon, c’est vrai. Mais moi je sais que ce cheminement, cette croissance, n’ont été possibles que parce qu’à chaque étape, quelle que soit ma décision, il m’a soutenue dans ce que je désirais. C’était peut-être parfois inconfortable pour lui – par exemple donner tous les biberons du week-end parce que je n’en pouvais plus – mais il n’a jamais tremblé ni douté qu’il mettrait ses pas dans les miens pour aller là où je voulais aller.

J’ai un mec extraordinaire je sais.

Voilà pourquoi je n’écris pas sur lui. (Merci Marlou pour cette chanson de Zazie.)

 

Mon mec extraordinaire. Et Marcel à deux ans, au moment où j’ai cessé de l’allaiter (mai 2015).
Et pour les papas ?

Alors ça dépend de ce dont tu as besoin. J’ai évoqué la traversée du grand désert pour les mamans qui allaitent, ben c’est celui-là, le même, que devront fatalement traverser les papas…

Si tu es fatigué, tu travailles beaucoup ou/et tu as déjà des enfants, particulièrement s’ils sont petits et te réveillent encore parfois la nuit, l’allaitement est un excellent choix. Tu pourras dormir tes huit heures d’une traite, tu ne sauras même pas que ton nouveau-né a tété quatre fois dans la nuit à vingt centimètres de toi.

En revanche, si tu es un homme en pleine forme, en quête d’une vie sexuelle riche et inspirée avec ta femme dès son retour de la maternité, coche l’option biberon. Je t’assure. Les hormones de l’allaitement qui précipitent la libido féminine du haut de l’Himalaya dans une chute vertigineuse jusqu’en bas, c’est pas un mythe. Vraiment. C’est une ruse de la nature pour éviter qu’emportée par la fougue de son désir pour toi, ta femme se mette à produire un œuf qui, rencontrant une de tes graines qui passait par là, s’avise alors de devenir un nouveau bébé qu’il faudra lui aussi allaiter. Alors que. Il y a déjà l’autre, là.
World of pain.

 

 

Et maintenant le plus important : quelle que soit ta préférence personnelle, soutiens la femme que tu aimes dans le choix qu’elle aura fait, envers et contre tout. Parce que des envers et des contre, surtout si son choix est le non-allaitement ou un allaitement long, ou si elle ose boire du champagne et du vin en même temps qu’elle allaite, il y en aura beaucoup… la famille qui croit bien faire et bien dire, les médecins, les voisins, les gens au parc, dans le train, au resto, partout.

SOUTIENS ET PROTÈGE.

Contre les bien-pensants et contre les malveillants, car oui il y a tout ça dans l’allaitement.
Il y a tout ça dès le début de la grossesse.

Toi aussi tu as connu le regard outré de la société quand, enceinte, tu allumes une cigarette ? Ce regard accusateur qui te met au ban et te condamne à l’opprobre pour les siècles des siècles ?
Sans le bouclier de ton mec qui te sourit dans l’ombre pour te montrer qu’il est avec toi, tu sens qu’on te brûlerait sur un bûcher. Inconsciente. Mère indigne. Sorcière.
Hum. Deux cigarettes par jour, les gens. Elle vous dit qu’elle voudrait, si vous le permettez, les fumer en paix. La paix à l’intérieur de son ventre, c’est mieux pour le bébé qu’elle attend.

Alors oui, soutiens et protège la femme que tu aimes jusqu’au bout, quand bien même il ne resterait plus que toi.

Après tout, le panorama est encore plus époustouflant quand tu t’es remonté l’Himalaya tout seul, à t’accrocher pendant des mois et des mois, sans eau et sans équipement…

 

Le Marcass’ et Papa Écureuil, quand tu te lèves avant qu’ils se réveillent parce que, une autre des merveilles de l’allaitement c’est que tu dors bien et le matin tu es pleine d’énergie (septembre 2013). L’homme au fond, tu le vois pas mais chaque nuit pendant deux ans, il remonte l’Himalaya tout seul…

 

Vous auriez aimé entendre l’avis sage et expérimenté de Papa Écureuil sur cette question cruciale de la sexualité juste après un bébé l’allaitement ?
Je comprends. Malheureusement il me fait vous dire qu’il ne prodigue ses conseils aux jeunes papas que seul à seul et au cas par cas. Son numéro commence par 06.
Si cela peut vous aider, il vient de me lâcher dans un emportement dont il est peu coutumier :

– Le biberon c’est l’asservissement par les chiffres. C’est la prise de contrôle par les comptables !

Faut croire que quelques mois sans sexe sont vite oubliés, alors que les nuits sans sommeil passées à donner des biberons interminables ne se laissent pas si facilement effacer…

 

La joie du biberon. Lucien à six mois et Garance à deux ans et demi, avec son bébé qu’elle a appelé Fernand comme le tripier du marché (octobre 2011).

 

 

Voilà les gens, l’allaitement & moi…
Je n’ai pas tout dit sur le sujet, il y a eu des creux et des rebondissements, mais c’est déjà trèèès long, c’est encore plus long que l’article le plus long de mon blog jusqu’à ce jour, alors je m’arrête là. Je peux poursuivre en privé avec celles qui veulent (ceux qui veulent aussi mais je me doute que ce sera plutôt celles).

 

*****

 

Et vous, l’allaitement ça vous fait ressentir quoi ?
Que vous ayez choisi d’allaiter ou non, et même, que vous soyez mère ou non, père ou non, racontez, partagez !

 

 

Attention !
Plusieurs abonné(e)s du blog m’ont rapporté que la newsletter de Let’s go fishing ! arrive systématiquement dans les spams de leur boîte mail. Est-ce le cas pour vous aussi ? Si oui, pouvez-vous la définir comme « non-spam » ? Cela règle-t-il le problème ?

 

 

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