Amu i Tahiti

Photo : Sur l’atoll de Tikehau… un ananas de Moorea (Polynésie, janvier 2019). 

Manger à Tahiti

 

Les Polynésiens se lèvent très tôt, entre 5h et 6h du matin, et ils se couchent tôt le soir.
Ils font un gros petit-déjeuner et souvent pas de vrai repas au déjeuner, remplacé par ce qu’ils appellent des snacks (plus rapides mais pas moins roboratifs, surtout diététiquement beaucoup plus incorrects, lire ici).
Avec un dîner entre 17h et 19h. Puisqu’à 20h30, c’est dodo. Et là c’est chaud patate pour nous parce que ce n’est PAS DU TOUT notre rythme ! Enfin surtout moi, Mickaël s’y adapte mieux, mais moi je déteste manger tôt…  🙁

Du côté de ce qu’on trouve dans l’assiette, la double influence asiatique et européenne sur les produits locaux fait de la cuisine polynésienne un mélange plutôt original… et savoureux ! Je veux dire, après sept semaines à avaler de la nourriture fade et molle qui a ennuyé ma bouche et mon palais jusqu’à les anesthésier et les faire périr d’ennui, c’est une fête du goût retrouvé !
Même si les plats ne sont pas épicés du tout et que le gingembre frais de la maison me manque…

 

Est-ce que c’est pas dingue cette couleur violette ? Je vous le dis parce que vous ne devinerez jamais : c’est une glace maison au taro ! Je ne savais même pas qu’on pouvait en faire de la glace !!! On était à Tahaa donc je pense qu’il y avait beaucoup de vanille dedans, c’est incroyablement bon ! 
 
La tradition : le ma’a Tahiti

Le traditionnel ma’a Tahiti est un repas très copieux constitué de plusieurs plats, autour duquel se réunissaient autrefois les familles polynésiennes. Il se compose de féculents comme le taro, le uru (c’est le fruit de l’arbre à pain), l’igname et la patate douce, auxquels on ajoute du poisson et de la viande, du cochon de lait le plus souvent. Un p’tit truc léger t’as vu…

Le ma’a Tahiti est encore préparé à l’ancienne dans le ahima’a : un trou dans la terre, tapissé de bâtons de bois sur lesquels on place des pierres volcaniques chauffées à blanc. On dépose la nourriture enveloppée dans des feuilles (ou du papier alu désormais) et on recouvre de feuilles de purau (un arbre d’ici) tressées ensemble.

La similitude avec le hangi des Maoris néo-zélandais est frappante !

J’ai lu que le ma’a Tahiti se pratique toujours le week-end en famille mais on n’a trouvé personne pour nous inviter… Dans la mesure où il exige quand même des heures de préparation (et une quantité de nourriture considérable), je pense qu’il est surtout réservé aux fêtes et aux grandes occasions, un peu comme le bebek betutu à Bali.

 

Thon grillé, fafa (l’épinard local) et taro. C’est un plat traditionnel qui peut entrer dans la composition du ma’a Tahiti. Le fafa rend du jus (surtout cuisiné au beurre comme là…) qui accompagne à merveille le taro, j’ai beaucoup aimé.

 

J’aurais adoré goûter du uru dont je n’avais jamais entendu parler jusque là et qu’on ne trouve pas chez nous. Même à Grand Frais ou dans les épiceries africaines où j’achète gombos, manioc et igname, je n’en ai jamais vu.
De la même famille que le fruit du jacquier, le uru ou fruit de l’arbre à pain – à ne pas confondre avec le pain de singe en Afrique qui est le fruit du baobab – était jadis la base de l’alimentation des Polynésiens. Il ne se mange pas cru et se cuisine plutôt comme un tubercule de type patate douce : bouilli, rôti, braisé ou cuit à l’étouffée.

 

L’arbre à pain et son fruit : le uru. Pour la petite histoire, c’est un plant de uru que le capitaine du Bounty est venu chercher en Polynésie pour le rapporter aux Antilles et nourrir les esclaves à moindre coût…
 
Les produits locaux : le poisson

Avant d’arriver ici, tout ce que je connaissais c’est ma recette que j’appelle le tartare à la tahitienne, qui est un tartare de saumon frais avec des légumes coupés en brunoise (oignon doux, tomate, jeune carotte, courgette, poivron rouge et concombre), avec de l’avocat et de la mangue dans une marinade au lait de coco et au jus de citron vert. C’est hyper bon.

Maintenant je sais que si le poisson cru au lait de coco est effectivement le plat emblématique de la Polynésie, il est généralement préparé avec de la bonite ou du thon, pas avec du saumon, et qu’on le trouve aussi souvent à la chinoise, avec des légumes et condiments confits.

 

Poisson cru au lait de coco (ici c’est de la carangue). Je suis heureuse de dire – mais un peu gênée aussi parce que ça fait comme si je fais ma crâneuse – que mon tartare à moi est tellement plus fin, tellement plus joli et tellement meilleur…

 

Dans les îles, le poisson est consommé cru la plupart du temps et accommodé de différentes façons : tartares, sashimi, sushis, carpaccio, et chaud-froid (coupé au format sashimi, puis rapidement saisi pour lui donner cette double couleur rose cru au centre, et cuit sur les bords).

On trouve aussi de l’espadon, qu’on a acheté frais et cuisiné nous-même au lait de coco mais qui est resté super sec. Sinon c’est vraiment du thon, du mahi-mahi (daurade coryphène), du thon, du poisson perroquet ou à bec de cane, du thon, des pahua (ou bénitiers, on dirait des énormes coquilles d’huîtres en plus épais), et encore du thon.

 

Évidemment là c’est pas du tout un pahua, c’est le crabe de cocotier qu’on a mangé hier soir à Tikehau. Super bon. Les babi ont surkiffé. La partie bombée que vous voyez au tout premier plan, celle qui touche la feuille verte, c’est ce que les Polynésiens appellent « le gras ». On casse la carapace et on tartine l’intérieur sur du pain. C’est tout mou, ça ressemble à la moelle de l’os à moelle en plus amer – et il y en a plus aussi. Mickaël et moi on a bien aimé, les babi non, ils préfèrent la chair…

 

Avec le thon, le truc un peu trash, c’est le fafaru

Du thon cru mariné dans de l’eau de mer où des têtes de crevettes et des carcasses de poissons crevés ont fermenté pendant 15 à 30 jours (ça dépend des familles).

Ça sent les égouts quand on le sert mais apparemment c’est un délice qui fond dans la bouche…
Tu déposes la tranche de thon cru bien imprégnée de la marinade dans l’assiette, tu verses un peu de lait de coco dessus (sinon tu crois que tu vas mourir), et voilà.

L’oreille du Grand Lièvre
C’est pas pour insulter les Polynésiens mais manger du fafaru ça pourrait être une épreuve dans Fort Boyard !

 
Les produits locaux : les fruits

Les fruits de Tahiti sont sensiblement les mêmes que les fruits à Bali et au Sri Lanka.
Noix de coco, bananes, ananas, pastèques, mangues, papayes, fruits de la passion…
Après des semaines de pommes et de kiwis, c’est du soleil dans mon corps !

 

De gauche à droite : carambole, fruit de la passion, papaye, mangue, ananas, banane et pamplemousse de Tahiti. Le tout saupoudré de vanille de Tahaa.

 

Deux nouveautés quand même : la carambole, ce fruit qu’on coupe en étoiles que les babi n’ont pas aimé, et le pamplemousse sarawak de Tahiti.
Originaire de l’île de Bornéo en Malaisie, énorme, avec une peau épaisse et verte, le pamplemousse sarawak est bien rafraîchissant. (En même temps, sous 40°, quel fruit même avec un minimum de jus n’est pas rafraîchissant ??)
On en a mangé un à cinq, mais je dirais qu’on s’est partagé les trois quarts juste Lu et moi. Même si on préfère « les nôtres », les jaunes et les roses qui viennent de Floride et nous aident à affronter l’hiver à la maison quand on n’a plus que des pommes et des poires locales…

 

Sur la photo, ça ne se voit pas tant que ça mais les pamplemousses sarawak sont aussi gros qu’un ballon de volley !

 

Sinon, je ne suis pas une dingue d’ananas MAIS, avec une pensée toute particulière pour Fred-ma-cops qui n’aime pas ça du tout, je ne peux pas ne pas vous dire quelques mots sur l’ananas de Moorea qui est très réputé, même dans les autres îles polynésiennes. Et il le mérite parce qu’il est exquis.
Doux et sucré, il ne pique pas, il ne gratte pas la langue ni le palais, il ne donne pas d’aphtes. On l’achète pour rien et il est toujours mûr à point parce qu’il pousse partout sur l’île et qu’il est cueilli juste quand c’est le moment. Sans intermédiaire.

 

Deux ananas entiers que les babi ont trouvés abandonnés dans la mer à Moorea et des mangues tapées qu’on a ramassées par terre. Deux fruits, un midi. Un délice.

 

Les babi apprennent ici à aimer l’avocat, qu’ils n’aiment pas à la maison.
Il faut dire que l’avocat tropical est très différent de l’avocat Haas qu’on connaît chez nous.
De la taille d’une mangue, parfois encore plus gros, sa chair est vert tendre, beaucoup plus claire que celle du Haas. Au niveau du goût, l’avocat tropical est beaucoup plus léger, plus doux. Je trouve qu’il est aussi plus aqueux et moins gras dans la bouche, parfait pour ceux qui n’aiment pas l’avocat en fait…
Moi j’adore l’avocat donc j’avoue je préfère le Haas. (Surtout avec du radis noir à la mandoline, arrosé de jus de citron et d’huile de sésame toasté, et parsemé de gomasio de la mer : une entrée très très fréquente l’hiver chez nous !)

 

À gauche, ce sont trois avocats tropicaux : les deux au premier plan sont mûrs à point, celui qui est derrière pas encore. Au milieu, les mini bananes d’ici. À droite une mangue. Au fond, les ananas de Moorea. Et complètement à gauche, dans un petit vase, des fleurs de tipanier. Moi je ne suis pas sensible aux fleurs, à vrai dire je ne les avais même pas vues sur la table, mais la Petite Souris adore !
 
La mode du Le brunch

Le petit déjeuner du week-end est très important à Tahiti, où il prend fréquemment la forme d’un brunch. Pas brunch au sens de on se retrouve vers 10h30-11h comme ça se fait chez ceux qui aiment les brunchs. Non parce que le brunch à la tahitienne, c’est plutôt 8h30-9h au retour du marché. Donc brunch au sens de : on mélange sucré salé, et on fait ça copieux.
Moi j’aime pas les brunchs. Mais on s’en fout, je peux manger la même chose à 13h plutôt qu’à 9h ou 11h, et c’est bon.

Je pourrais aussi garder le poe pour mes insomnies de la nuit…

Le poe est une pâte de purée de fruits et d’amidon, parfumée à la vanille et arrosée de lait de coco. C’est le plus souvent à la banane, parfois à la papaye ou à la mangue, ou même au potiron comme celui qu’on a goûté. Une tuerie ! Sauf pour les babi… Parce qu’évidemment il faut aimer les consistances chelou, qui n’existent pas, à ma connaissance, dans la cuisine française.

La texture du poe est collante et molle comme une sauce gombo, mais élastique comme le mochi. Je pense que c’est ce à quoi le poe ressemble le plus au final, le mochi. Ou les gomadofu au kuzu de Clea que j’ai fait plein de fois, à la purée de sésame blanc ou noir ou à la purée d’amandes complètes.

 

Poe de potiron à la vanille de Tahaa dans une sauce au lait de coco, avec une boule de glace coco. Les babi n’ont aimé que la glace, du coup Mickaël et moi on a éclaté les cinq bols de poe à deux. On est rentrés, on s’est couchés direct…

 

À côté du poe que les Tahitiens mangent non avec de la glace coco mais avec du poisson cru (les deux en même temps ouais…), un autre classique du petit-déjeuner du dimanche matin (avant ou après la messe), ce sont les firi-firi : des beignets au lait de coco qui ressemblent à des churros. En forme de huit. Et en moins bon je trouve. Avec peut-être moins de gras et de sucre qui restent dans ta bouche, mais plus fades, et plus bourratifs surtout.

 

Au premier plan : firi-firi. Ceux-là ne sont pas en forme de huit… En arrière-plan : de la baguette blanche industrielle dont l’intérêt gustatif et nutritionnel est proche de zéro.

 

Et pour aller avec tout, il y a soit de la baguette blanche industrielle pas bonne, soit du pain de coco : un petit pain doux brioché, rond, ovale ou carré, qui rappelle le pain au lait. Les babi ont trouvé que c’était trop mou et vaguement écœurant mais ils ont kiffé la baguette molle ! Va comprendre…

 

Le pain de coco avec les confitures Rotui produites à Moorea (mais trop sucrées pour moi). Pamplemousse vert, la meilleure quand même je trouve, fraise-vanille, et ananas.
 
Et boire !

La bière

De retour dans les pays sans vin où il fait très très chaud, je retrouve ma bouteille d’eau et papa Écureuil son tour du monde des bières. La bière locale de Tahiti, Hinano, est plutôt légère.
J’aime beaucoup l’étiquette de la marque, cliché de la vahiné qui est repris partout, et qui représente une Tahitienne comme on n’en a jamais vu en vrai (mais du côté des Miss Tahiti peut-être ?).

 

Papa Écureuil sirote une bière tranquille à Moorea.

 

Le rhum

Nous n’avons pas bu de rhum – ou presque pas.

Mais lorsque nous étions à Moorea, nous avons appris que le rhum agricole Manutea, justement fabriqué à Moorea, a gagné le concours mondial TOP RHUM qui récompense les meilleurs rhums du monde. Bon. Puis nous avons visité la distillerie Pari Pari sur l’île de Tahaa, avec explications ET dégustation par le producteur lui-même. C’était mieux !  🙂
Pari Pari cultive la canne à sucre (bio) qui est ensuite fournie à Manutea. Mais la distillerie produit aussi en petite quantité son propre rhum. Meilleur…

 

Nous avons goûté les deux rhums blancs agricoles qui sont au centre de la photo : le Manutea Tahiti à 50° produit à Moorea, puis le T à 55° produit à Tahaa. Le T est vraiment meilleur. Et pourtant c’était pas mojito time, pas de sucre, pas de citron vert, pas de menthe. Et pas de soleil non plus. Sous la pluie qui tombe…

 

Il existe un site Internet de vente par correspondance : https://domaineparipari.com/
Nous on aime le rhum et Mickaël fait ses propres rhums arrangés, donc on s’est dit qu’on en commanderait en rentrant à la maison. En plus c’est un peu la classe de faire venir son rhum du bout du monde…

C’est pas éco-responsable, c’est sûr, mais si on consomme vraiment que local, on arrête le rhum. Le chocolat. La vanille, le gingembre, le curcuma. Et, pire que tout, LE CAFÉ !!!

Enfin je dis ça en l’air, on n’a pas encore regardé les frais de port. J’ai peur que la classe pique méchamment… Sinon le producteur de Tahaa est présent au Salon « Rhum Fest », qui a lieu chaque année à Paris un mois après le Salon de l’Agriculture.

Saviez-vous que les rhums fabriqués dans les pays tropicaux sont meilleurs que ceux fabriqués dans les pays tempérés parce qu’ils ont une part des anges nettement supérieure (8% contre 2%) ?

 

Les tonneaux en fût de chêne dans lesquels vieillit le rhum pour devenir ambré.

 

Un test comparatif a été fait sur le même rhum, vieilli dans les mêmes tonneaux, mais certains placés en Jamaïque et les autres en Italie. Eh bien le rhum jamaïcain est meilleur. Apparemment.
Mais bon, en Italie il y a le vin. Les pâtes. Les glaces. Les petits artichauts violets et les fleurs de courgettes. Le risotto parfait. Le parmesan. La vraie bufala de bufflonne, pas les trucs immondes qu’on te sert en ersatz. Et puis Rome. Florence et Naples, Naples et Venise. On se le dit et on y croit. Et tout.

 

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Et vous, connaissez-vous la cuisine polynésienne en général, et tahitienne en particulier ?