C’est quoi, partir ? (2)

Photo : Dernier tronçon de route avant trek dans la jungle, Krong Koh Kong (Cambodge, février 2010)

 

J’ai écrit dans la première partie de cet article ce que partir signifie pour moi. Arrêter d’attendre, décider que c’est maintenant qu’on vit, tisser des liens solides.

Mais bien sûr, partir c’est avant tout découvrir.
Prendre la route.
Et c’est pour cet appel du large et de l’inconnu, pour un peu plus de vie dans nos vies, qu’on trouve le courage de quitter ce qu’on connaît et qui nous rassure… mais ne nous surprend plus.

 
S’ouvrir

Notre projet de voyage est né d’un rêve à deux. Deux voyageurs, pas si expérimentés. Deux curieux, ça oui beaucoup. Parce qu’il n’est pas de voyage sans curiosité.

Et c’est bien ce que l’on veut partager avec les babi en leur transmettant le goût du voyage : préserver cette curiosité de l’autre, cette envie de découvrir, qui sont présentes en chaque enfant mais qui, parfois, en grandissant, mystérieusement disparaissent et manquent à certains adultes.
Et les rendent tristes et ternes. Enfin, moi je trouve.

Montrer aux babi qu’il existe d’autres vies, ailleurs, que celle qu’ils vivent eux. D’autres étoiles et chercheurs d’or. D’autres ports. D’autres langues. D’autres enfants de leur âge mais d’une autre couleur, avec une autre famille et d’autres croyances, qui vivent autrement. Jouent autrement. Mangent autrement. Dorment autrement.

Je veux les sortir de leur routine école-lego-dodo, et leur faire éprouver de l’intérieur que le jugement c’est souvent la peur de ce qu’on ne connaît pas. Et que la peur est une émotion à qui on laisse souvent prendre trop de pouvoir. Trop de non-décisions.
Je veux aider les babi à reconnaître leur peur pour ce qu’elle est, et à comprendre qu’ils sont « équipés » pour la traiter, qu’ils peuvent s’en occuper eux-mêmes, à condition qu’ils n’aient pas peur de leur propre peur. Sinon on glisse.

 

Premier jour de trek dans la jungle, Krong Koh Kong (Cambodge, février 2010).
La peur en toi, si tu la laisses prendre toute la place, c’est le serpent qui te cloue au sol, glace ton cœur, paralyse tes membres, et t’enserre jusqu’à ce que tu ne puisses plus respirer.

 

Accepter sa peur sans se laisser étouffer et partir à la découverte de l’inconnu, c’est aussi éprouver pour la première fois (et celles d’après) ce que c’est que de se sentir submergé(e) d’émotion devant un paysage, une voix, un visage qu’on n’imaginait pas.

Se sentir tellement plus vivante parce qu’on a ouvert en grand son cœur et son esprit.

Car partir pour moi, c’est d’abord s’offrir ce cadeau extraordinaire, cet état intérieur si particulier au voyage : quand, libéré des contraintes matérielles et logistiques de la vie quotidienne, on se sent devenir plus présent à ce qu’on vit, plus à l’écoute des autres mais aussi de soi-même, avec un accès plus direct et plus clair à ce qu’on ressent. Sur ce qu’on vit là tout de suite en voyage, mais aussi sur sa vie à la maison. Plus lucide.

On a tous des rêves secrets. Mais combien de rêves se donne-t-on vraiment les moyens de réaliser ?
Pour combien se dit-on : « Les rêves, la vie, c’est pareil, ou alors ça vaut pas la peine de vivre ! », comme dans Les Enfants du Paradis ?

 

 
Prendre des risques

Partir nous rend plus vivants, plus disponibles à la rencontre, et plus présents les uns pour les autres car plus libres.

Mais cette liberté n’est pas donnée dans une pochette surprise, comme dirait ma mère (qui ne plaisante pas avec la liberté, j’en reparlerai un peu plus loin).

Cette liberté du voyage que je viens d’évoquer se mérite. Elle exige d’avoir le courage du premier pas, celui qui nous fait sortir de notre zone de confort – et donc nous dé-conformer.

Elle implique de rompre avec un quotidien connu et agréable, où tout roule tranquille, pour un saut vertigineux dans l’inconnu, sans modèle à reproduire.
Sortir de nos habitudes ronronnantes pour s’essayer à quelque chose de difficile, de nouveau, dans lequel on n’est pas à l’aise et où on n’a aucun repère parce que c’est la première fois.

Pour nous aujourd’hui : partir. Backpackers. Loin, longtemps, avec trois enfants.

Alors oui, rassembler son énergie.
Quitter ce qu’on connaît.
Claquer toutes ses économies.
Oser devenir qui on est.

Et tout ça, bien sûr que ça fait peur !

Parce que décider d’aller au bout de ses rêves (tout au bout de ses rêves, où la raison s’achève), c’est prendre le risque de tomber et de se faire mal.

 

Le Grand Lièvre sur une plage à Kamarès (île de Sifnos, Grèce, août 2016).

 

Mais tu ne peux pas échouer, simplement apprendre et grandir.

Je ne sais plus où j’ai lu ça. Ça pourrait être du Churchill, mais en vrai j’en sais rien et je déteste être dans l’approximation – bunch of amateurs. Alors si vous connaissez l’auteur et la citation exacte, surtout dites-moi !

Je trouve que c’est une phrase qui donne du courage.

Tu ne peux pas échouer, simplement apprendre et grandir.

 
 
Grandir libre

Dans la première partie de cet article, j’ai écrit que les babi devraient être pour nous une source d’inspiration.
Mais je veux moi aussi être, pour eux, une source d’inspiration. Parce qu’on fait ce qu’on dit. Parce qu’on leur montre qu’on peut vivre son rêve, si seulement on s’en donne les moyens, et surtout, le courage.

On leur dit déjà : tu peux faire ce que tu veux dans la vie. À condition que tu le veuilles très fort, que tu croies à tes rêves, et surtout, que tu persévères malgré les obstacles.

Mais c’est quoi de le dire par rapport à le faire, à l’incarner par l’exemple ?
Ce ne sont que des mots qui attendent que l’expérience leur donne du sens.

C’est comme la leçon du grand sage chinois que je sers régulièrement aux babi (peut-être un peu trop souvent d’ailleurs) : ce qui compte dans ta vie, à l’école, dans ce que tu veux faire, avec tes copains, et plus tard avec ton amoureux(se), partout, ce n’est pas de ne pas tomber, c’est de te relever quand tu es tombé(e).

Mais Papa Écureuil dit que je les saoule avec 1/. mon courage et 2/. ma persévérance comme valeurs-phares. Du coup ils me répondent des trucs tout pourris comme : « Ouais d’accord, c’est ça, mais là j’ai mal au genou tu vois, alors je peux pas me relever ! »

N’empêche, ils s’en souviendront.

Comme j’ai moi-même été saoulée toute mon enfance avec « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Ma sœur aussi a été saoulée. Parce que la liberté est sans doute la valeur-phare de ma mère.
Ce n’est pas la mienne, mais je n’ai jamais oublié ce principe moral. Merci mounette !  🙂

 

Dans les mangroves de Krong Koh Kong (Cambodge, février 2010).

 

La mienne, c’est le courage effectivement. Je suis courageuse. J’ai besoin que l’homme que j’aime soit courageux. Et je souhaite que mes enfants soient courageux aussi. (C’est la deuxième fois en deux articles consécutifs que j’ose dire « mes enfants », je sens que j’ai pris vingt ans…)

Mais il ne suffit pas de leur dire : « Sois courageux(se) mon fils, ma fille ». On ne peut pas « être » courageux du jour au lendemain. Le courage, c’est un processus, un chemin.

La maman de ma super cops (celle qui m’a aidée à essayer de me casser le majeur pour être dispensée de sport au bac), une belle personne, disait : « il faut prendre courage ».

Et cela prend du temps. C’est la raison pour laquelle je pousse autant les babi à s’essayer à quelque chose de plus fort qu’eux, maintenant, dès qu’ils le peuvent.
Mon pote Grand dirait élégamment : « à se sortir les doigts ».
Parce que j’ai toujours pensé que les choses difficiles, il faut commencer à les faire le plus tôt possible, quand on est enfant.

Et aussi parce que, c’est ce qui fait que je me sens vivante, moi, et libre : prendre des risques, sortir de sa zone de confort comme je l’ai dit, vivre des premières fois, encore, goûter le sel dans le café, et continuer à s’étonner, encore et encore…

Sinon quoi ? C’est lundi c’est ravioli ?

Si on reste bien dans les rails que tant d’autres ont emboîté pour nous depuis des siècles, sans rien remettre en question de l’aiguillage, par paresse le plus souvent, sans rien défricher par soi-même, sans emprunter des chemins de traverse, sans même ouvrir grands les yeux autour de nous, alors comment sait-on si on est heureux dans sa vie ?

Quel courage d’être libre leur inspire-t-on à se répéter de jour en jour et de semaine en semaine jusqu’à ne plus être qu’une pâle copie de soi-même ?

 

Mouette ou goéland ? (Étretat, mai 2008).

 

À la fin de Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, de Luis Sepúlveda, que j’ai racontée aux babi, on lit :
« Au bord du vide, elle a compris le plus important, miaula Zorbas.
– Ah oui ? Et qu’est-ce qu’elle a compris ? demanda l’humain.
– Que seul vole celui qui ose le faire, miaula Zorbas. »

Bien sûr, dans la vraie vie, celui qui ose le faire peut aussi s’écraser par terre lamentablement. Une fois, encore une fois, et puis encore une autre. Et une autre. Avant de, peut-être, réussir à voler, mais sans jamais de certitude. Et pour moi, c’est exactement ça.

Le courage, c’est prendre le risque de tout perdre pour, peut-être, ne rien gagner.

Le courage, ce n’est pas de ne pas avoir peur, c’est avoir peur mais le faire quand même parce qu’il y a cette petite voix, tout au fond de soi, cette voix jeune et joyeuse qu’on ne veut plus bâillonner et qui jubile : Vas-y. Do it. Lets’go fishing !

 

Mais maman, tu crois qu’on va vraiment le faire, le voyage ? Pour de vrai ?
Oui. On va le faire. Challenge accepted.

 

*****

 

Et pour vous, c’est quoi le courage ?

Quelles sont les valeurs les plus importantes à vos yeux ?